Cab Calloway, Harlem cheikh

par Adehoum Arbane  le 23.12.2013  dans la catégorie C'était mieux avant

Fort heureusement, la bonne musique ne s’apprécie pas uniquement sur support vinylique ou laserisé, selon les goûts des uns et la bourse des autres. Elle sait aussi se raconter au travers d’un genre qui depuis quelque temps a fait florès : le documentaire, aussi appelé rockumentaire. Ces œuvres à part – entière – constituent le véhicule idéal pour faire vivre, transfigurer et immortaliser les grandes figures tutélaires de la culture contemporaine. Aujourd’hui, la suprématie du petit écran – heureuse quand ce dernier produit des programmes de qualité – et la démocratisation du web ont favorisé l’émergence d’une vraie offre en matière de docus musicaux. Avec la précision des seuls connaisseurs et l’amour des fans les plus investis, Jean-François Pitet et Gail Levin retracent à travers Le dandy de Harlem le parcours de Cab Calloway, prince des zazous qui révolutionna le jazz. La présence d’une telle pointure dans une tribune habituellement dévolue au rock pourrait surprendre, voire choquer. Ne jamais se fier aux apparences, voilà notre crédo. Ainsi, Cabell « Cab » Calloway III fut l’un des ardents promoteurs et même l’inventeur de l’esthétique pop – et il m’en coute de l’écrire – bien avant que les Beatles ne viennent au monde de la musique. Entre finesse jazz et rythmes populaires, il a créé un style fait d’exubérance, de couleurs et de folies scéniques. Et bien sûr de refrains, tous devenus célèbres. Le show dont il est l’orchestrateur en chef peut se définir comme une sorte de kermesse sensorielle qui enflamme les foules, de Harlem à Broadway, jusqu’à Hollywood. Screamin Jay Hawkins, Little Richard, Brenton Wood mais aussi Grand Master Flash, Prince, MC Hammer, OutKast… Ils lui doivent tout. Son approche visuelle et musicale, son look, sa capacité à transcender les origines l’amènent ainsi à réunir public blanc et musiciens noirs. C’est aussi en narrant des histoires fleurant bon le bitume, les nuits chaudes où alcool et drogues coulent à flots, que Cab se rapproche de ses fils spirituels, par sa dimension fondamentalement urbaine et son caractère sulfureux. Les influences ne se cantonnent pas seulement à la Black Culture dans son ensemble. Il est amusant de noter que Minnie The Moocher apparait au palmarès de nombreuses formations psychédéliques américaines des années 67-68 comme les fameux et lettrés Kaleidoscope. Pour retranscrire l’esprit de ces années folles, le Harlem des années 30, il fallait donc tout le talent de nos deux auteurs et une certaine conception du mythe. Car la grande force du Dandy de Harlem tient dans ses partis pris visuels et graphiques qui, en plus de séduire et d’initier le public le plus large, résonnent formidablement bien avec les costumes anguleux du maître, les décors quasi pharaoniques dans lesquels il aimait se produire et –bien sûr – sa musique. Il arrive un point où la passion bouillonnante de nos auteurs se confond avec celle de Cab. Grâce aux trouvailles narratives de Pitet & Levin, un roi devient dès lors un sujet. Sujet de discussion, d’échanges nourris, de débats dantesques entre geeks de salon. Sujet qui trouve surtout avec ce film éclair son unique et génial complément. Au-delà de l’aspect purement biographique – pour autant nécessaire – le récit et les témoignages renvoient tous à l’universalité de la musique de Cab Calloway qui fut le premier des grands modernes de la jeune et fringante Amérique. A la fois east coast et west coast, antique et actuel, Cab Calloway a autant habité ces états unis que le siècle qui l’a vu naître. Jean-François Pitet et Gail Levin montrent cet homme exceptionnel sous un jour nouveau, comme un trait d’union entre les époques, les hommes, les familles musicales. Grâce leur soit rendue, à eux ainsi qu’à Arte qui prouve au passage qu’on peut toucher le plus grand nombre tout en restant exigeant. Le dandy de Harlem est ainsi à placer aux côtés de DIG!, When you’re strange, Sugarman et autres classiques du genre.

Cab Calloway, le dandy de Harlem (Jean-François Pitet et Gail Levin)

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http://www.artlinefilms.com/catalogue/cab-calloway-le-dandy-de-harlem

 

 

 

 


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