Big Star, la power pop à son firmament

par Adehoum Arbane  le 02.07.2013  dans la catégorie C'était mieux avant

En ce début de seventies, après la débandade d’Altamont, la famille psychédélique américaine s’exile dans le fouillis d’eucalyptus qui encercle Laurel Canyon. Elle compte bien s’y poser un moment, le temps d’une vie plus paisible, loin des drogues (!!!). Folk et pop se marient alors sous la bénédiction de compositeurs comme Carole King, Crosby, Stills & Nash, Joni Mitchell ou James Taylor. Les chansons n’en seront que plus douces, plus intimes. En Angleterre, on préfère s’adonner à un rock tantôt musclé – hard et glam en tête – tantôt intello, fait d’accords progressifs. Dans ce maquis d’artistes aux aspirations diverses, un groupe réalisa en quelques années – 72 et 74 – deux albums fondateurs d’une certaine culture pop américaine sitôt baptisée Power Pop. Big Star incarne la réunion quasi magique de deux songwriters talentueux, Alex Chilton et Chris Bell. Le premier fit les beaux jours du groupe Box Tops avec son tube aussi court qu’essentiel, The Letter. Le deuxième évolua dans plusieurs formations de moindre renommée dont Ice Water qui nous intéresse ici. Ce qui ne l’empêche pas de se forger une écriture très personnelle. La rencontre quasi alchimique des deux songwriters a tout du couple Lennon-McCartney. Bien qu’elle s’avère des plus incongrues. Rappel historique. Malgré ses états de service pop, Alex Chilton quitte Box Tops pour s’en retourner à Memphis. C’est dans cette ville mythique qu’il croise la route de Bell dont il intègre le groupe. Ice Water donc. Pour que la greffe prenne, il faut changer d’identité. Ce sera Big Star, du nom d’une chaîne de supermarchés. À y regarder de près, la musique qu’ils ont à revendre n’est pas du genre à s’étaler bien que celle-ci frappe par sa délicatesse et son exigence. Le son Big Star n’est pas en soit un mystère pas plus qu’il ne propose quelque chose de fondamentalement novateur. Il reprend les choses là où les avaient laissées des formations du calibre des Byrds ou du Buffalo Springfield. Une sorte de pop typiquement américaine, teintée de country et de rhythm’n’blues mais avec des mélodies dans chaque rayon et des chœurs à tous les étages. Cette limpidité imprègne chacun des douze titres de l’album. Il est d’ailleurs stupéfiant de noter à quel point la production – pointilliste – n’a pas dénaturé l’œuvre qui s’impose, quelques quarante et un ans après, comme très actuelle. Que les tempos soient rapides ou que les musiciens aient opté pour la ballade sentimentale, tous les morceaux valent la citation, mieux que l’on s’y attarde, hormis peut-être Don’t Lie To Me au style plus conventionnel. Comme on pouvait s’en douter, les plus belles contributions – les plus marquantes – viennent d’Alex Chilton. Ainsi, se distinguent The Ballad Of El Goodo, parfaite de bout en bout – couplet, refrain, pont –, le classique Thirteen dont les paroles, simples au possible, n’en finissent plus de toucher et les deux joyaux de la face b que sont Give Me Another Chance et l’éblouissant Watch The Sunrise. Loin de l’esprit Memphis, ces chansons tendres atteignent des sommets de grâce et charment immédiatement pour se nicher là où habitent les classiques ; dans les esprits. Fort heureusement, la force de Big Star tient à cet équilibre entre fluidité et énergie mais aussi dans ses deux personnalités. Et Chris Bell n’est pas en reste. Il signe à son tour quelques perles qui ne dépareillent pas ce Numéro 1 record. Feel fait partie de ces chansons d’ouverture, puissantes et légitimes. Le couplet tout en riff et la voix teigneuse ne pouvaient rêver plus beau refrain, merveille de production et d’enregistrement ; le son est ici quasi spatial. In The Street est une déclinaison du style Byrds non dénuée d’originalité, Bell s’arrachant à l’influence de ses prestigieux pairs pour délivrer une chanson admirable d’écriture. C’est peut-être dans My Life Is Right et Try Again que son timbre de porcelaine donne sa pleine mesure. Il se montre en tout cas à l’aise dans tous les registres à l’égal de son camarade Alex Chilton. Détail cocasse, c’est au bassiste Andy Hummel que l’on doit le délicieux The India Song qui s’agence quasi naturellement parmi ces chansons de haute volée. Malheureusement, les dissensions amènent Bell à quitter le groupe. Chilton continuera seul l’aventure Big Star aux côtés de Hummel qui assumera très vite ses nouvelles ambitions de songwriter. Chilton ajoute à son palmarès September Gurls, classique ayant 30 ans d’avance sur la concurrence et qui préfigure ainsi REM, voire même les Shins. L’infortuné Chris Bell ne se remettra jamais de cette séparation. Malgré un complexe d’infériorité vis-à-vis de Chilton, il arrive pourtant à graver son premier album solo I Am The Cosmos qui malheureusement restera dans les tiroirs avant d’être exhumé en 1992. Le compositeur meurt  à 27 ans dans un accident de voiture. De son côté, Alex Chilton continuera de produire des albums avec quelques réussites mais sans jamais retrouver la force créative de ses deux albums mythiques. Peut-être parce que le groupe était né sous une bonne étoile…

Big Star, # 1 Record (Ardent/Stax)

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