Poptrait n°3, Lord of hammond

par Adehoum Arbane  le 24.07.2012  dans la catégorie Poptraits

Alors que je réagissais sur l’Agora Digitale à la mort de Jon Lord, organiste de Deep Purple, tout en démolissant les bozos pseudo-rockeurs de U2, quelques ploucs furibards me taxèrent à la va-vite de snob. Guère surpris ni même vexé, je leur répondais avec l’assurance qui sied en pareille situation que oui j’étais snob, que oui un rock critic se devait de l’être à minima pour exercer dignement, en toute indépendance, son office. Un rock critic normal, c’est comme une chanson sans riff, c’est comme un riff privé d’un solo d’orgue. Et donc par voie de conséquence, comme une chanson de Deep Purple sans un chorus de Jon Lord. S’il n’était pas un tantinet snob ou disons, pour être plus précis, « tatillon », le journaliste rock ne pourrait s’émouvoir à l’écoute de Child In Time, au moment exact où Blackmore laisse miauler sa guitare dans un long pleur électrique alors que Jon Lord déroule sous ses pas une tapisserie de notes denses et absolues, absolument présentes à nos oreilles à travers les enceintes stéréo du Souvenir. Sans cette pointe agaçante de pédanterie, qui soulignerait, je vous le demande, les attaques métalliques de l’Hammond sur Flight Of The Rat judicieusement placé en début de face B de Deep Purple In Rock ? Sans une once de purisme, nous aurions tout aussi bien oublié Jon Lord. Brrr. Au  couchant de sa vie, alors que son corps n’a pas encore refroidi, cette simple évocation nous plonge dans une gêne tenace, griffue, oppressante. Comment omettre dans un révisionnisme musical la stature du fidèle et modeste claviériste Purplelien ? Lui qui en fut l’un des membres fondateurs, lui qui définit l’identité sonore par son approche minutieuse de l’instrument, toute en majesté, lui qui réussit à transposer une vision de studio sur scène, exercice ô combien délicat auquel de nombreuses rock stars se sont essayées. En vain. Certes, la discographie du groupe demeure inégale. Il lui fallut plusieurs époques, plusieurs combinaisons, pour se stabiliser mais une chose est sûre : de 1969 à 1973, on compte pas moins de cinq classiques dont le live Made In Japan. Certes, il ne faudrait pas minimiser les contributions hurlantes de Ian Gillian, les soli magiques, tordus de wah-wah, de Blackmore et la meilleure section rythmique d’Angleterre incarnée par Roger Glover et Ian Paice. Mais oh Lord, Jon donna tant à son groupe. Il fut tout bonnement l’un des plus grands organistes de la pop avec peut-être Ray Manzareck. La richesse de son jeu n’avait pas d’équivalent. Même un Keith Emerson, immense technicien de la désincarnation, ne lui arrivait pas à la cheville. Il faut dire… Jon Lord mesurait près de un mètre quatre-vingt. Formé au piano classique dès l’âge de sept ans, Lord se passionne pour Bach, Edward Elgar et tant d’autres. Pendant près de dix ans, il suivra les enseignements du même professeur, présenté des années après comme sa plus grande influence. Le précepteur se plaisait à répéter ces mots : « If you love it, you’ll want to do it properly. » Arrivé à l’âge critique de l’adolescence où la personnalité se construit, Lord intègre la Central School of Speech & Drama. Forgeant à n’en point douter un goût certain pour la théâtralité qu’il appliquera consciencieusement à la musique. Alors que l’année 67 marque l’explosion de la pop en tant que culture, Lord fait une rencontre décisive : Ritchie Blackmore. Très vite, le courant passe. Les deux hommes « composent » ce qui deviendra rapidement Deep Purple, Mark I. Malgré des qualités évidentes, la reconnaissance critique tarde à arriver. Rétrospectivement, le succès du groupe, dans sa deuxième incarnation, coïncide avec l’avènement du Hard Rock dont Led Zep et Black Sabbath sont les deux autres ambassadeurs. C’est aussi rétrospectivement que l’on perçoit l’aspect fondamental de la contribution de Lord, résumée dans cette sentence jetée comme ça, pour l’Histoire : « The keyboard explosion is probably the single largest revolution in the rock’n’roll business. » La première moitié des seventies consacre le groupe et l’organiste. Pas un festival où il ne soit à l’affiche. Pour ceux qui eurent la chance d’assister à ses performances, c’est un choc sonique ! Comme pour les quelques tokyoïtes présent le 17 août 1972 au Budokan, le Royal Albert’s Hall nippon. Les morceaux, tous parfaitement enregistrés par le célèbre ingé son Martin Birch, non seulement gagnent en efficacité mais aussi en intensité. Lors d’un concert, le temps devient une variable permettant aux musiciens de donner libre cours à leur inspiration du moment, portés par les vivats de la foule. Malgré sa réserve britannique, planqué sous ses moustaches, le corps élastique courbé sur ses claviers comme un roseau, visage arrosé de cheveux, Lord régnait en seigneur. Parfois debout, comme un géant sur son piano jouet, fou, libéré, habité, sans doute en hommage aux premiers virtuoses du rock’n’roll, Jerry Lee Lewis et Little Richard. Parfois prostré, les mains balayant les touches, déversant les notes en épaisses coulées de lave rougeoyantes. Qu’il était grand dans ces instants ! Puis à l’image des jazzmen, il s’effaçait avec élégance et discrétion le temps d’un chorus de guitare ou d’un break de batterie. Reprenant le riff, entretenant la trame. Pour s’en convaincre, restent les témoignages discographiques parallèles, rééditions et archives de la BBC, ces vidéos qui surgissent sur les chaînes digitales. Car la mort de Jon Lord, sans le vouloir, prophétise l’imminente disparition de toute une mythologie propre au XXème siècle, accrochée par la mémoire au nouveau millénaire : celle du rock sixties. D’ici à dix ans, ils auront presque tous disparu. Exit les McCartney, Jagger, Richards, Townshend, Daltrey, Page, Plant, Bowie, Gilmour, Waters, Dylan… Constat amer mais lucide. Plus grande serait la nécessité d’accorder une épitaphe sonore avec grandes orgues lugubres et baroques à l’homme qui déclarait à propos de lui-même « I’m sounding like a Hammond. » Il y a plus simple, plus vrai. Désormais, en pleine conscience nous écouterons le Pourpre Profond en songeant à Jon Lord et en nous écriant avec nostalgie « C’était mieux avant ! »

http://www.youtube.com/watch?v=g7n3ABzopHU

 

 

 


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