Poptrait n°1, production between the buttons

par Adehoum Arbane  le 26.06.2012  dans la catégorie Poptraits

Suite à mon dernier papier, les 10 producteurs de légende qui ont fait celle du rock, de nombreux fans se sont émus de l’absence bizarre, honteuse, incompréhensible, impardonnable d’Andrew Loog Oldham. Comme je ne peux remettre en cause le principe même des « 10 » par un erratum quelque peu tardif, j’ai décidé de consacrer à l’homme une chronique en bonne et due forme.

« Mai 1995. Je suis dans la suite de James Dean, c’est-à-dire deux placards à l’arrière de l’hôtel Iroquois sur la 44ème rue Ouest à Manhattan, et la vie a perdu toute couleur. »
Andrew Loog Oldham

 

Parfois éclipsé. Souvent évacué. Andrew Loog Oldham n’en demeure pas moins un personnage clé des sixties anglaises. Avec son physique de Benoît Poelvoorde propret et cravaté, Andrew Loog Oldham fait figure de touche-à-tout iconoclaste, un brin dandy. Et pourtant, les choses partaient mal, très mal. Le « Loog » d’Andrew appartenait à l’origine à son père. Lieutenant servant dans l’US Air Force, le bonhomme se fait descendre, lui et son B-17, au dessus de l’Angleterre en 1943. Loin d’être handicapé par cette influence paternalo-militaro-aérienne quelque peu déchue, ALO prend son envol à l’horizon des années 1960. La culture pop s’impose alors, faisant battre le cœur de Londres. Tous les domaines de la création sont concernés : mode, design, musique, cinéma, architecture. Les Art Schools servent de vivier. C’est là qu’entre en scène notre futur gros poisson. Andrew Loog Oldham commence par la mode comme assistant de la styliste Mary Quant. De l’aiguille au diamant des platines, il n’y a qu’un fil que le jeune homme, habile, tire telle la couverture du destin. Mais une fois de plus, ses options surprennent. Il devient impresario faisant de la publicité sa nouvelle arme. A l’époque, il épingle Dylan et Joe Meek à son tableau de chasse. Avril 1963, la vie d’Andrew Loog Oldham est sur le point de basculer. Un conseil va ainsi peser dans la balance. Un ami journaliste lui recommande une jeune formation de rhythm’n’blues : les Rolling Stones. Il flaire immédiatement le potentiel du groupe et fourbit son plan : les positionner comme les anti-Beatles. Malgré son jeune âge et sa stature en bois brut, ALO pique les Stones à Giorgio Gomelsky : il est dorénavant et contractuellement leur manager. Dans la foulée, il signe le groupe chez Decca. Il faut bien comprendre l’aspect fondamental d’une telle prouesse. Hormis les Stones ou les Beatles, je ne compte pas Hendrix ou les Doors parce qu’ils sont américains, mais peu de groupes furent aussi influents. Heureux les chanceux qui les firent tomber dans leur escarcelle. Andrew Loog Oldham n’a pourtant rien d’un homme à qui la chance sourit. Il sait provoquer les opportunités. Avec les Stones, il brille par sa perspicacité. En premier lieu, il négocie les droits des masters enregistrés. Pas farouche pour deux pounds, il convie Le duo Lennon-McCartney lors des premières sessions, lesquels finissent par offrir aux Stones leur chanson I Wanna Be Your Man. Qui deviendra leur deuxième single ! En pygmalion averti, il leur conseille même de se lancer dans le songwriting. Ce qu’ils feront bien entendu avec le succès que l’on sait. Son idée la plus fameuse évoquée plus haut : le célèbre slogan au parfum de souffre qui choquera la bonne société londonienne de Harold Wilson, « Would you let your daughter marry a Rolling Stones ? »

« Les Stones et moi-même, nous étions dans une dynamique créative, enfermés quand les tournées et les voyages le permettaient, aux studios RCA au coin de Sunset et Iver. Nous avions presque deux ans de créativité intenses derrière nous et nous avions l’impression que tout réussissait. » 
Andrew Loog Oldham

 

Comme ces mots en témoignent, Andrew Loog Oldham veut prouver qu’il n’est pas juste un manager éclairé. Il s’affirme au fur et à mesure de cette palpitante aventure comme un fin mélomane. Ajoutant à son pedigree l’éminente fonction de producteur. Il ne faut pas croire les esprits chagrins qui prétendent que sa contribution varia « du négligeable à l’infini zéro. » Une assertion aussi fausse que désobligeante. Entre 1963 et 1967, ALO produit les cinq premiers opus des Stones et devient avec le concours de Brian Jones l’instigateur de la période élisabéthaine. On lui doit aussi la découverte de la jeune et accorte Marianne Faithfull qui, outre une carrière de maîtresse lubrique, se transformera rapidement en icône pop au travers d’une discographie solo aussi plantureuse que sa poitrine et qui commencera en 64 par la reprise cristalline de As Tears Go By. Un an plus tard, Oldham fonde le premier label indépendant anglais, Immediate Records. Mais ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : il endosse alors tous les habits. Sous le patronyme ronflant du Andrew Loog Oldham Orchestra, il livre entre 1964 et 1966 quatre improbables albums de reprises instrumentales dont un met les Stones à l’honneur : Rolling Stones Songbook. Cet opus restera célèbre pour sa version géniale de The Last Time, dans l’arrangement sera honteusement plagié par The Verve pour leur tube Bitter Sweet Symphony. Un procès et une condamnation donneront raison à ALO. Pour conférer à sa firme toute sa crédibilité, l’homme tout juste âgé de vingt et un ans signe les formations les plus prometteuses au rang desquelles on trouve les Small Faces, les Nice, The McCoys, Twice As Much et toute la crème du british blues, Fleetwood Mac et Humble Pie en tête. Menés par un duo de leaders, Steve Marriott (guitariste, futur Humble Pie) et Ronnie Lane (bassiste, tiens donc), Les Small Faces demeurent la formation phare du label. En seulement trois albums, ils glisseront du rhythm’n’blues vers un psychédélisme pop et pastoral du meilleur effet dont Ogden’s Nut Gone Flake représente le point d’orgue créatif. Typiquement anglais dans sa conception et sa musicalité, ce concept-album mémorable figurera en bonne place au côté des classiques de l’époque, le premier Traffic, The Village Green Preservation Society, S.F. Sorrow des Pretty Things entre autres. Oldham se consacre totalement à ses jeunes poulains. Il leur délègue certaines missions comme accompagner les artistes solos fraichement signés : parmi eux, notons P.P. Arnold, chanteuse de soul noire américaine qui sort sous son nom une série de singles efficaces dont l’exceptionnelle reprise de Eleanor Rigby aux arrangements fastueux, Duncan Browne à l’élégant premier disque entre folk et pop baroque et Billy Nicholls. Ce dernier enregistre avec le facetieux quartet l’une des meilleures productions de Immediate, Would You Believe, chef-d’œuvre pop ultime et collector aussi cher que rarissime. ALO est aux manettes, il veut que le disque sonne comme le Pet Sounds anglais. Mais les déconvenues financières vont compromettre le projet dont il ne subsistera à la fin qu’une petite centaine de copies. Malgré cela, le disque aujourd’hui réédité témoigne de l’ambition de son habile promoteur. Il se veut l’inventaire de tout ce que l’on fait de mieux en matière de production et d’orchestrations avec ses clavecins omniprésents, ses clochettes, ses cuivres sémillants et ses chœurs angéliques. De plus, les compositions s’avèrent bonnes, très bonnes. 1969, l’année ne sera pas plus discographique qu’érotique puisque le label coule définitivement. Les vingt années qui suivent, Andrew Loog Oldham les passera d’abord aux USA, produisant de nombreux artistes. Puis, en Colombie où il épouse un mannequin local, revenant ainsi à ses premières amours ; la mode.

« La vie sans musique est tout simplement une erreur,
une fatigue, un exil. »
Friedrich Nietzsche

 

Andrew Loog Oldham prendra l’ami Friedrich aux mots. Durant les bruyantes nineties, il abordera la musique sous un nouvel angle pour lequel il se trouve quelque talent : l’écrit. On lui doit une biographie fictionnelle de ABBA et bien entendu une série de publications toutes consacrées aux Rolling Stones : Stoned en 98, 2Stoned en 2001 et Rolling Stoned en 2011. Ces récits fourmillent d’anecdotes et constituent la chronique détaillée, roborative et passionnante d’un parcours sinon d’une époque que beaucoup considèrent comme un âge d’or indépassable. Il faut les lire par geekerie certes mais aussi avec gourmandise. D’autant que leur auteur fait montre d’un réel don de conteur. L’homme, toujours en vie, continue d’exercer son sacerdoce pop. Mais sur les ondes colombiennes. Qui sait s’il reviendra un jour sur le devant de la scène avec les Rolling Stones des années 2000 ?

http://www.deezer.com/fr/music/playlist/90867631

 

 

 

 


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