Les 10 producteurs de légende

par Adehoum Arbane  le 12.06.2012  dans la catégorie Les 10

... qui ont fait celle du rock.

L’explosion de la culture pop et du 33 tours, en tant que nouveau format, redessinent les contours de la création musicale à l’orée des mid-sixties. Les albums ne sont plus un amoncellement de tubes en puissance mais bien des œuvres cohérentes, osons le mot, conceptuelles. Au centre de l’édifice, aux côtés du groupe, on trouve le producteur. Une appellation qui pourrait porter à confusion. Dans l’industrie cinématographique, le producteur apporte les fonds nécessaires au projet, organise le tournage, la post-production et la promotion. Dans l’industrie musicale, le producteur demeure le garant de la signature sonore d’un disque ou d’un artiste. Il touche directement au processus d’élaboration de l’œuvre, participant parfois à l’écriture. Et finit par s’imposer au fil des années comme un élément central. Si certains restèrent dans l’ombre, si d’autres connurent une relative célébrité malgré une capacité à se mettre en retrait (Jimmy Miller, Sam Charters), un petit peloton de producteurs réussit à se détacher du lot. Pour accéder au mythe ultime de l’éternité et revendiquer ainsi sa part du gâteau, parfois financier il faut bien l’avouer. Cette nouvelle sélection, non exhaustive hélas, fait la part belle aux personnalités. On y trouve les gentlemen, les excentriques, les perfectionnistes, les escrocs, les puristes, les hipsters, les précurseurs, les techniciens, les blondinets et enfin les geeks. Chacun, à son époque, se fait fort d’imposer ses vues dans sa propre écurie mais au-delà, dans le petit microcosme de la pop music. Jusqu’à devenir parfois un membre officiel du groupe. Comment auraient sonné les disques s’ils n’avaient été aux manettes ? Nous les avions presque oubliés, ceci méritait d’être réparé. Pour paraphraser une fameuse série policière (sévissant sur le câble), voici leur histoire. 

George Martin, le gentleman. Aka, le cinquième Beatles. Il fallait commencer par lui. Il ne fut pas réellement le père de tous les producteurs mais son travail aux côtés des Beatles relève du cas d’école. Même si son parcours fait de lui un personnage à part dans l’histoire de la pop. D’abord sa formation. Diplômé de la Guildhall School Of Music, George Martin intègre la prestigieuse BBC, département musique classique, puis rejoint en 1950 Parlophone comme directeur. Il ajoute à son cv l’enregistrement d’œuvres baroques, détail qui comptera dans un futur proche. Visionnaire, Martin décide d’élargir le registre du label au nouveau rock naissant et se met en quête d’un groupe à hits. 6 juin 1962, ses vœux sont exaucés : il auditionne alors quatre jeunes rockeurs poupins, les Beatles. Flairant le potentiel succès, il vire le batteur Pete Best pour le remplacer par le placide Ringo Starr et se met au boulot. Malgré le talent évident du légendaire couple de songwriters, Lennon & McCartney, Martin œuvra au cœur même du projet Beatles. Sa maîtrise de la culture classique lui permet de proposer quantité d’idées et d’arrangements désormais indissociables du style Beatles. On lui doit certains passages mémorables, composés et joués par ses soins, comme le fameux solo de picolo dans Penny Lane, les orchestrations sublimes de Eleanor Rigby ou le solo de piano de Lovely Rita. De nombreux témoignages photographiques le montre dans le studio, jouant d’un clavecin ou étudiant une partition. Véritable homme à-tout-faire, on le retrouve aussi derrière l’ingé son au moment du mixage, étape essentielle dans la réalisation d’une œuvre beatlesienne. De 1962 à 1967, John, Paul, George et Ringo épaulés par Martin accomplissent un travail remarquable qui définira les codes de la pop pour les siècles à venir. Après des années de quête musicale claustrophobique, les dissensions se font malheureusement sentir et Martin de prendre ses distances alors que le groupe entre en studio pour enregistrer ce qui deviendra le White Album. Qui demeure à l’image des Beatles : épique, foisonnant et tourmenté. George Martin retrouve ses poulains en 1969 à Abbey Road qui donnera en toute logique son nom à l’album. Point d’orgue de leur collaboration, le fameux medley de la face B inspiré par Martin. Pour Let It Be, Sir George lâche l’affaire pour faire place à…

Phil Spector, l’excentrique. Premier magnat du monde adolescent selon la célèbre citation de Tom Wolfe. Et surtout, bien plus triste, premier producteur incarcéré. Mais revenons aux sources du mythe. Avant de nourrir la controverse en faisant le miel des chroniqueurs mondains puis judiciaires, Harvey Phillip Spector fut un homme craint et respecté. Né dans le Bronx dans une famille juive ultra protectrice, le jeune Phil n’est pas encore la star que l’on sait. Intimement meurtri par le suicide de son père, chroniquement malade et pour le moins chétif, Spector passe une enfance heureuse mais compliquée. Pour des raisons de santé, il s’installe avec sa famille en Californie. Derrière des complexes physiques évidents, se forge une certitude : celle de devenir célèbre. Il jette alors son dévolu sur l’industrie musicale qu’il désire par-dessus tout intégrer et bouleverser. En 1958, il commence sa carrière comme chanteur des gentils Teddy Bears. A seulement 19 ans, il écrit la chanson To Know Him Is To Love Him qui se place très vite en tête des charts ! Le jeune homme tient sa revanche. Il le sait, il sera producteur. Les premiers âges de la décennie sixties demeurent indubitablement marqués du sceau de Spector. En effet, le lutin dandy pose les bases du Wall Of Sound, une technique de prise de son des plus audacieuses pour l’époque. Spector prend alors ses quartiers dans les studios Gold Star de L.A., fort appréciés du maître pour leur acoustique si particulière. Là, il réunit un orchestre de musiciens rock, plus connu sous le nom de Wrecking Crew, et demande à chacun de jouer la même note à l’unisson tout en y ajoutant des arrangements de cordes et de cuivres. Le signal, filtré par une chambre d’écho, produit alors une réverbération naturelle enregistrée sur piste, et en mono ! La technique est révolutionnaire, loin des standards relevant trop souvent de la variété la plus insipide. Entre 1960 et 1965, Spector signe près de vingt cinq tubes pour les Crystals, Darlen Love, Bob B Soxx & The Blue Jeans, les Righteous Brothers et bien évidemment les Ronettes. En 66, il produit le premier opus de Ike & Tina Turner puis se laisse dépasser par la British Invasion menée par les Beatles. Spector semble fini. Mais finira par produire l’ultime opus des quatre de Liverpool (en réécrivant les arrangements sans leur accord !!!). Il retrouvera de sa superbe dans les seventies en bossant pour Lennon, Harrison, Dion, Leonard Cohen et même les Ramones !!! Son caractère volcanique et sa paranoïa galopante le grilleront définitivement jusqu’au tragique épilogue de l’affaire Lana Clarkson. On gardera en mémoire l’œuvre du bonhomme et sa célèbre réplique à Céline Dion à l’occasion d’une éphémère collaboration : «  On n’apprend pas à Mozart à faire de la musique ». Ça c’est fait.

Bob Ezrin, le perfectionniste. Une qualité certaine pour un producteur digne de ce nom. Après ses deux illustres prédécesseurs sus-cités, le petit Bob pourrait passer pour un sympathique boy-scout de studio. Heureusement, il n’en est rien. Né en 1949 à Toronto, Canada, Bob Ezrin débute sa carrière comme organiste. Une réelle dextérité à laquelle il donnera sa pleine mesure lors de la décennie suivante. Nanti d’un patronyme qui le ferait passer pour un magicien échappé d’un roman de Tolkien, Ezrin collabore entre 1971 et 1979 avec les plus grands noms du rock. Premier fait d’arme. Le deuxième ? Avoir produit quelques-uns des plus grands albums concepts de l’époque. Qui peut se vanter d’avoir œuvré aux côtés de Lou Reed à l’édification de Berlin, avec les Pink Floyd à la patiente et folle création du double album The Wall ? A chaque fois, l’approche minutieuse, ciselée du bonhomme contribue à la singularité de l’œuvre produite. Pour The Wall, Ezrin arrive à imposer à Waters, rongé par la mégalomanie, d’écrire de nouveaux titres pour boucler l’intrigue hautement complexe de l’album. Il va même jusqu’à coécrire The Trial dont les arrangements sidèrent encore aujourd’hui l’auditeur patient (le morceau s’étale tout de même sur plus de six minutes). Sa contribution à la discographie d’Alice Cooper demeure la plus remarquable. De 71 à 77, Ezrin accompagne le groupe, participe à l’écriture, à la production et au mixage. Au milieu de l’œuvre, on dénombre pas moins de cinq classiques inusables : Love It To Death, Killer, School’s Out, Billion Dollar Babies, qui deviendra disque de platine, et dans une moindre mesure Welcome To My Nightmare (premier opus enregistré sans la formation d’origine). On lui doit sans doute d’avoir créé ce style si particulier entre hard rock, pop, jazz, glam et rock progressif que l’on découvre dans ces titres savoureux : Black Juju, Ballad Of Dwight Fry, Dead Babies, Halo Of Flies, Killer, Blue Turk, Gutter Cats vs. The Jets ou Unfinished Sweet. Ce méli-mélo stylistique semble au contraire très cohérent. Ezrin réunit dans ses œuvres influences classiques, baroques, et penchants modernistes : il sera l’un des premiers à utiliser l’informatique dans l’enregistrement et le mixage. Ce qui lui vaudra le surnom de « Francis Ford Coppola de la production ». Lors de cette décennie prolifique, on le verra aussi enluminer les albums de mastodontes rock ; je citerai dans le désordre Kiss, Peter Gabriel, Kansas et les rockeurs français de Téléphone. Avant de raccrocher ?

Kim Fowley, l’escroc. Mais cependant génial. Dans le langage entrepreneurial, on appelle ça un touche-à-tout. En langage pub, on parlerait de transversalité. Il fut tour à tour songwriter, musicien, chanteur, producteur et impresario. Ça impressionne sévère. Ce vibrionnant personnage évolue au cœur du Sunset Strip à L.A., Babel du professionnalisme rock. Par quel côté, quel angle aborder l’Animal ? Fils de l’acteur Douglas Fowley, Kim développe rapidement une forte prédilection pour la culture pop qui commence à envahir l’Amérique, sous l’impulsion de peintres, cinéastes et autres compositeurs. Très vite, c’est vers l’industrie musicale qu’il se dirige manageant en 1957 les Sleepwalkers leadés par le jeune… Phil Spector !!! Deux ans plus tard, il bosse pour l’inventeur et promoteur du rock’n’roll, Alan Freed. Son premier titre en tant que producteur, Charge des Renegades, apparaît déjà comme un classique marqué du sceau loufoque de Fowley. Durant la première moitié des sixties, il compose pour diverses formations, marque une pose, lance Paul Revere & The Raiders et finit par s’imposer comme l’une des figures emblématiques du garage rock sud californien. Entre 66 et 68, son nom s’affiche sur tous les versos des pochettes vinyles, soit comme artiste solo soit comme pygmalion malin. A chaque fois, le résultat s’avère détonnant, voire déconnant. Il faut entendre ces ovnis signés du maître que sont Born To Be Wild (à la pochette hallucinante), Outrageous ou encore God Of The Street. Côté singles, on n’est pas en reste : The Trip, Animal Man, Strangers From The Sky, Bubblegum, I’m Bad produisent chez l’auditeur une fascinante hilarité doublée d’un plaisir certain à la limite de l’orgasme intellectuel. Quand il ne travaille pas à ses œuvres, Kim Fowley inspire les projets les plus dingues. Après un court passage chez les Seeds, il coproduit en 1968 l’unique album de St. John Green, hippies déjantés de Laurel Canyon dont les douze titres, entre pop planante et déclamations théâtrales, effarent en même temps qu’ils séduisent. Durant les seventies, Kim Fowley étoffe considérablement son cv en soutenant les Stooges puis en lançant la formation proto-punk d’inspiration velvetienne The Modern Lovers. Après avoir écrit Teenage Head pour les mythiques Flamin Groovies, il accède à une plus large notoriété en manageant et produisant le groupe féminin The Runaways pour lequel il signe au passage quelques fameux tubes dont l’explosif Cherry Bomb, puis en œuvrant pour les Kiss et Slade. De multiples visages chez ce véritable feu Fowley qu’on surnomma aussi le Dorian Gray du rock’n’roll.

Abe ‘Voco’ Kesh, le puriste. Sans doute ce nom ne vous dira rien. Il est vrai, l’homme aurait pu passer à côté de l’Histoire. C’est peut-être d’ailleurs le cas. Mais dans l’histoire du psychédélisme us, il tient une place à part. D’origine arménienne, il officia d’abord comme disc-jockey au cœur de la bouillonnante scène de San Francisco. A l’époque, les jeunes musiciens américains, encore sous le choc du coup de Revolver asséné par les Beatles, cherchent toujours leur voie. Leur style. Même si beaucoup de groupes cèdent très vite aux mirages d’une production un peu trop dégoulinante, d’autres souhaitent explorer leurs propres racines. C’est ici que Kesh fait figure d’aiguillon musical. Pendant les premières années de sa carrière, il arrose les ondes de standards blues. Pour toute une génération, le choix est fait. Ils mêleront cependant au blues des origines des influences folk, s’inscrivant dans la lignée du néo barde Bob Dylan. Alors que les formations fleurissent dans la baie, à commencer par le Grateful Dead et le très populaire Jefferson Airplane, Abe ‘Voco’ Kesh, devenu entre temps producteur, décide de prendre sous son aile de géant des petits groupes locaux. Parmi eux, quelques exemples qui s’arrachèrent à la masse pour accéder à une reconnaissance critique, certes modeste, mais plus que méritée. Le premier gang, composé de kids d’ascendance indienne, se prénomme Savage Ressurection. Un nom presque prémonitoire pour le producteur adepte d’un rock brut. Les quelques témoignages des musiciens, compilés au fil des temps dans les livrets des rééditions, évoquent la nature très « Laid back » du producteur. En ces temps de liberté débridée au puissant cocktail de sexe, de dope et de rock’n’roll, l’attitude semble naturelle. Loin d’apparaître comme dilettante, Abe ‘Voco’ Kesh privilégie l’authenticité du son. Voilà pourquoi ses interventions se comptèrent parfois sur les doigts de la main d’un guitariste. Et pourtant, l’alchimie fonctionne à merveille et les dix titres qui composent leur album éponyme demeurent des modèles du genre : incisifs, acides, tordues par les fragrances droguées et riches en planeries languides comme sur Tahitian Melody ou sur Expectations. Cette année 67, celle du summer of love, est riche en collaborations multiples. On retrouve Abe aux côtés des clones jeffersonien de Morning Glory pour un ultime album, Two Suns Worth, frisant le chaos au milieu des guitares acérées et d’un clavecin fou. Son exploit le plus célèbre reste encore son travail sur les deux premiers albums de Blue Cheer, power trio dont les Hells Angels et Janis Joplin étaient de grands fans. Pas si mal pour un inconnu.

Tom Wilson, le hipster. Beau. Black. Bon. Jusque là, tout va bien. Sorte de Miles Davis de la culture pop, Tom Wilson incarne à lui seul cette idée résumée dans le fameux titre du maître, Birth of Cool. Sa carrière de producteur force l’admiration. Il côtoya ainsi du beau monde. Mais revenons à sa scolarité pop. Elève appliqué de la A.J. Moore High School, membre de la Harvard New Jazz Society et diplômé de l’université du même nom, Tom Wilson monte Transition Records dans le but, fort louable, de produire les jazzmen les plus novateurs. Il tiendra promesse en accompagnant les plantureuses carrières de Sun Ra, Cecil Taylor et bien d’autres. Mais un tout autre destin attend notre jeune producteur. Début des années 60, il intègre le prestigieux label Columbia Records. Pour se faire la main, le félin Thomas Blanchard  (!!!) Wilson Jr produit trois des plus importants albums de Bob Dylan, The Time They Are a-Changing, Another Side Of Bob Dylan, Bringing It All Back Home sans oublier les quatre dernières chansons de The Freewheelin’ Bob Dylan. Pas mal du tout. En 64, on le retrouve avec le célèbre duo folk, Simon & Garfunkel. C’est à lui que l’on doit la deuxième version de Sound Of Silence où l’acoustique s’enrichit d’overdubs électriques mirifiques. La song devient alors single. En 1966, Tom Wilson tente un pari en rejoignant Verve. Il veut ajouter à son palmarès une dimension underground. Le destin va le prendre au mot. C’est lui qui produit l’intégralité du premier et éternel album du Velvet Underground épaulé de la longue quille ténébreuse, Nico, et non Andy Warhol qui fut à la production ce qu’il fut à l’art : un malentendu. La même année, il assure aux côtés des Mothers Of Invention de Zappa et délivre un nouveau classique freak… Freak Out ! Derrière ses lunettes définitivement noires, brillait une vision singulière comme le souligna plus tard Frank Zappa. A l’aube du psychédélisme, Wilson monte son label, distribué par ABC, signe et produit des groupes psyché de la trempe de Ill Wind, Fraternity Of Man, The Bagatelle, Purpose Fire. 1968, il renoue avec ses premières amour jazz en coproduisant le premier opus de Soft Machine, enregistré à NYC en pleine tournée américaine du Jimi Hendrix Experience dont il assurait la première partie. La fin des sixties amorça un retrait bien triste. L’homme mourut d’une crise cardiaque à Los Angeles dix ans après en 1978. Sa culture, son goût sûr et son ouverture d’esprit furent à l’origine d’une contribution marquée du sceau de l’éclectisme. Et ce, à une époque où la ségrégation faisait hélas encore son œuvre. Noir c’est noir, y a-t-il encore un espoir ?

Joe Meek, le précurseur. Moins connu que ces prestigieux successeurs quasi starifiés, Meek marqua son temps et son héritage demeure aujourd’hui incontestable. Né le cinq avril 1929 en Angleterre et décédé le 3 février 1967, Joe Meek « manquera » de peu la révolution sixties malgré une première décennie au service de la pop. Mais revenons sur son parcours. Comme beaucoup de producteur, Meek s’intéresse de près à la composition malgré son incapacité à jouer d’un instrument et son ignorance totale du solfège. Pour écrire, il s’entoure alors de musiciens à qui il chante ses mélodies qui sont alors retranscrites et enregistrées en direct. Il met à profit les possibilités du studio pour expérimenter différents effets comme l’écho et la réverb’ qu’il applique à ses propres compos. C’est après un passage par la RAF comme opérateur radar qu’il inscrit l’électronique au cœur de sa quête musicale. Il intègre ensuite un label indépendant comme ingénieur du son où il prouve à maintes reprises ses nombreux talents visionnaires sur des productions jazz. Début des années 60, Meek fonde avec William Barrington-Coupe Triumph Records. C’est sa période faste pendant laquelle il produit quantités de singles, certains figurant en bonne place au Top 10 ! Johnny Remember Me profita de ses idées les plus folles comme celle d’enregistrer les instruments séparément, à différents endroits du studio, escalier, salle de bains. Il fut le premier à bousculer les habitudes d’enregistrement des disques pop ou de jazz, privilégiant les la séparation des sources et les effets d’altération des sons. A l’époque, il s’attaque à un projet ambitieux, I Hear A New World : An Outer Space Music Fantasy, album concept révélateur de sa passion pour la conquête spatiale mais qui resta malheureusement dans les tiroirs. Dans la foulée, il crée son propre studio, rebaptisé plus tard Meeksville Sound Ltd, au 304 Holloway Road qui sera le lieu de ses recherches sonores. Son désir de produire des groupes exclusivement instrumentaux le fera passer à côté de signatures décisives comme cela de Rod Stewart, David Bowie ou les Beatles. Il collabore cependant avec  le chanteur gallois Tom Jones au timbre plus « acceptable » que celui de Stewart. Son dernier grand succès lui valut une cinquième place au Billboard américain grâce au tube des Honeycombs, Have I The Right. La fin de Meek relève du grotesque autant que du tragique : obsédé par la mort, le bonhomme avait tenté d’enregistrer des voix d’outre-tombe en plaçant des micros dans un cimetière, plombé par son homosexualité, Joe Meek sombra dans tous les excès, sexe, drogues, crise de paranoïa, dépression qui accélérèrent sa chute. Le 3 février, il tua sa propriétaire avant de retourner le fusil contre lui. Un dernier acte aussi funèbre qu’une balade dans un cimetière.

Eddie Offord, le technicien. Mais aussi le fidèle. Offord peut être légitimement présenté comme LE producteur de la scène progressive, prêtant ses talents à de nombreuses formations dont YES. Entre Eddie Offord et le groupe, l’alchimie se révèle totale. Lui, le perfectionniste absolu, eux les virtuoses en perpétuelle quête du nirvana musical. Comment expliquer une telle symbiose ? Avant de se revendiquer producteur, Offord se présente comme ingénieur du son. Sa maîtrise de l’enregistrement atteint des niveaux auxquels peu peuvent prétendre et qui se pliera totalement aux exigences philosophiques du groupe. Car chaque musicien au sein de YES apporte, en plus de la maîtrise, de la technique, ses idées, SA vision. Offord ayant pour mission d’en restituer les moindres détails. Ce qu’il fera bien entendu et ce sur cinq des plus grands disques du groupe : YES album, Fragile, Close to the Edge, Tales from Topographic Oceans, Yessongs et Relayer. Ses doigts de fée sculptent sur chaque album, chaque compo des paysages sonores d’une clarté déconcertante, donnant à l’œuvre de YES une intemporalité qui peut surprendre s’agissant d’une formation progressive. En effet, bien que dominant la décennie 70, le genre depuis fit l’objet d’un véritable déni de la part des critiques rock qui s’employèrent ainsi à la dénigrer ouvertement. Se revendiquer du prog constituait à leurs yeux une faute de goût. Osons le mot, un crime. Et pourtant. Loin de l’emphase communément attribuée à cette famille, des productions chargées, ampoulées, YES entre les mains de Offord se trouve un son d’une limpidité rare dont Close to the Edge incarnera l’apogée formelle. Un an avant, Chris Squire, le bassiste volubile, déclarait à propos de son producteur : « Eddie Offord’s maturity as a producer and engineer gives Fragile the sonic depth and sophistication it deserves and this made the album in fact ‘fragile’ ». En parallèle, Offord accepte d’enregistrer les quatre premiers albums de Emerson, Lake & Palmer dont Tarkus, le plus audible de tous. Le morceau titre développe sur plus de vingt minutes toute l’habile démesure du groupe. Pour le remercier de cette collaboration, le groupe compose Are you ready, Eddy ?, une pochade fifties hardcore mais au combien sympathique. Après quelques productions disparates, Offord se retire de l’industrie musicale sans regret, fier du devoir accompli en attendant d’être cité comme il se doit par son rock critic préféré. Promesse tenue, Eddie !

Ted Templeman, le blondinet. Et bien plus encore. Avec sa coupe au bol, bien dans la tradition anglophile, Ted débute sa carrière quelque part entre 1965 et 66. Au sein des Tikis. Qui aurait parié un ticket sur les Tikis ? Lenny Waronker, leur producteur, les invite à se trouver un patronyme plus sérieux. Le groupe transformera alors le célèbre magasine Harper’s Bazaar en Harpers Bizarre, plus conforme à l’air du temps empli de fragrances pop. Et pour démarrer en beauté, ils choisissent de reprendre The 59th Street Bridge Song (Feelin’ Groovy) du duo folk Simon & Garfunkel. S’en suit un nouveau single, signé Van Dyke Parks, Come To The Sunshine. Malgré les talents évidents, le succès ne vient pas. Leur pop baroque sous influence vaudeville semble dérouter. Il faut dire qu’à l’époque, la Californie est le berceau d’une scène musicale plus adulte dont les Doors, Byrds et autres Jefferson Airplane sont les fers de lance. La transition vers la production d’albums s’opère de la plus étonnante des manières. Alors que régnait une véritable rivalité entre producteurs, c’est Lenny Waronker qui inspire à Templeman sa reconversion. En 1970, il rejoint la Warner, officiant rapidement avec son tout premier groupe les Doobie Brothers. Puis, les contrats s’enchaînent. Sur le papier, la liste impressionne : Captain Beefheart, Van Morrison, Little Feat, Montrose, les Beau Brummels, Carly Simon, Aerosmith, Bette Midler, Joan Jett et j’en oublie. Sa connaissance de l’idiome pop lui dicte ses choix artistiques qui à chaque sortie d’album paient automatiquement. C’est avec Van Halen qu’il écrira les plus belles pages de sa carrière. Lorsqu’il démarre les sessions d’enregistrement en septembre 77, le groupe est encore inconnu. Quelques mois plus tard, le premier opus éponyme atteint la dix neuvième place dans les charts. Le succès commercial ne se démentira pas au fil des années malgré un glissement progressif et irréversible vers un style plus commercial dans les années 80, avec synthés dégueulasses et tout le bataclan. Encore en activité aujourd’hui, Ted Templeman jouit d’une aura indiscutable aux yeux des musiciens de toutes générations. Il rempile même en produisant le dernier Van Halen, A Different Kind Of Truth, marquant le grand retour du chanteur David Lee Roth. Quatorze ans après leur précédente livraison signée Mike Post. Templeman avec un T comme talentueux et sans R comme rancunier.

Steve Albini, le geek. Dixit son look d’éternel ado Harry Potterisé. Mais pas que. Il serait malheureux de s’arrêter à ce détail vestimentaire pour cerner celui qu’on surnomme le gourou de la prod’. Pour mieux comprendre, retraçons le parcours… Qui commence le 22 juillet 1962 à Pasadena, CA. Cette précision chronologique aura plus tard son importance, lorsque le jeune Steve traverse l’Amérique en même temps que les affres de l’adolescence. Sa famille pose ses valises à Missoula, petite bourgade ennuyeuse du Montana où Albini expérimente l’horreur provinciale. Ses moments de vide, il les emploiera à collectionner disques et fanzines. Nous sommes en pleine explosion punk et Steve s’intéresse alors au genre, usant de ses talents de commentateur rock pour chroniquer les albums qu’il écoute en boucle. Au cours de sa dernière année au lycée, un accident va sceller son destin. Jambe cassée, il se trouve immobilisé et décide d’apprendre tout seul la basse et la guitare. Diplôme en poche, il quitte son Montana zappaien pour s’installer dans une banlieue de Chicago. Objectif, étudier le journalisme à l’université de Northwestern mais aussi plonger dans les méandres de l’underground local. Il publie régulièrement dans les fanzines de son enfance, éclairant l’époque de ses saillies puissantes. Ce cheminement personnel et intellectuel l’amène très vite à fonder un groupe, Big Black, pratiquant un rock harcdore bruitiste aux tonalités industrielles. Cinq années passent qui voient paraître albums et maxis. Fort de son expérience de musicien, Albini commence à toucher à la production. Première et décisive contribution, Surfer Rosa des Pixies. Pendant ces années magiques, il fondent Rapeman puis Shellac, l’une des formations indie les plus importantes. Mais c’est le producteur qui apporte aux nineties un héritage sans précédent. Privilégiant l’enregistrement live et analogique, Albini théorise sa méthode au point de ne jamais intervenir dans le processus créatif du groupe. D’ailleurs, il est souvent crédité comme ingénieur du son et non comme producteur. « Recorded by »… Le son Albini se caractérise par l’enregistrement très en avant des basse et guitare au détriment de la voix, démarche plutôt rare dans le monde du rock. Les sessions doivent être courte afin de réduire au strict minimum les frais de studio. Albini renonce le plus souvent à ses cachets : rien ne doit trahir l’esprit des disques, encore moins l’argent. Cette sobriété attirera de nombreux artistes qui confièrent leur projet au maître du punk : In Utiro de Nirvana bénéficiera de ses techniques volontairement rudimentaires. A son palmarès on trouve aussi les Pixies, Slint, Elysian Fields, Godspeed You ! Black Emperor, Electrelane ou encore les Stooges. Pas mal pour un geek binoclard.

Une vérité donc. Le producteur ne mérite pas la dimension mercantile que véhicule son mystérieux patronyme. Nous aurions pu tous les citer, beaucoup sont ainsi passés à la trappe de la sélection journalistique. Et pourtant, je voudrais emprunter un dernier chemin vicinal avant de conclure. Première citation, Don Gallucci. Après avoir officié comme clavier au sein des Kingsmen, on le retrouve au cœur du projet ambitieux que constitue l’unique Lp Touch. Maelstrom génial et déroutant de psychédélisme futuriste au relent nébuleux de jazz, l’album méritait d’être salué. Enfin, on doit à Gallucci d’avoir obtenu ce son live incroyable qui fait le sel de Fun House des Stooges. La deuxième reste plus étonnante à plus d’un titre : Todd Rundgren incarne le musicien total ! Multi instrumentiste accompli, songwriter inspiré, chanteur compétent et surtout producteur visionnaire qui au fil de quelques disques dingues inventa deux décennies avant le son de la pop moderne et contemporaine, à la fois classique et synthétique. L’histoire a déjà retenu Runt, The Ballad Of Todd Rundgren, Something/anything ?, A Wizard, A True Star, sans parler de ses contributions pour Badfinger, les New York Dolls, XTC, Steve Hillage, Hall & Oates j’en passe et des meilleurs. Ultime nom et pas des moindres, le génial Teo Macero qui produisit les plus grands disques de Miles Davis, jetant alors un pont entre jazz et rock. A énumérer tous ces artistes, tous ces disques, la short-list des 10 semblait nécessaire : l’écoute risque d’être longue, très longue.

http://www.deezer.com/fr/music/playlist/86694971

 

 

 


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