Des hauts débats, part I

par Adehoum Arbane  le 07.02.2012  dans la catégorie Des hauts débats

La publicité dénature t-elle la pop ?

Par son universalisme même et la puissance imparable de son format, idéal pour les radios et les baladeurs de toutes sortes, la pop s’est imposée à tous. A la société d’abord. Celle des adultes. Puis au consommateur, cette figure influente issue des middle class, jeune et qui désire par dessus tout dépenser les revenus confortablement accumulés en plaisirs divers et variés ; le 33 tours fut, durant les sixties, le véhicule de cette émancipation sociale et culturelle. Enfin, par des chemins de traverses relativement biscornus, la pop a fini par s’adresser à tous les consommateurs. Pas les amateurs de musique au sens le plus large du terme. Non. A cette fucking ménagère de moins de cinquante ans courtisée par les publicitaires et les annonceurs. Et tout cela en investissant tout naturellement le territoire de la musique de pub.

Pour ?

Même si l’intention peu spontanée (car passée à la moulinette de la stratégie de marque) pouvait séduire le vulgum pecus dont votre humble serviteur fait partie, le résultat relève bien entendu du fiasco. Pour ? Comment pourrions-nous l’être ? Il ne s’agit pas là de remettre en question la proximité quasi suspecte entre le monde de la création musicale et celui de la création publicitaire. La pop s’est longtemps accommodée des structure du libéralisme même si ses propres héros, les rock stars, s’employèrent vertement à le remettre constamment en question : Lennon avait beau rouler en Rolls, par son engagement politico-artistique aux côtés de Yoko ce dernier chia allègrement sur la tronche hagarde de l’establishment capitaliste. C’est l’emprise méthodique de la pub sur la pop qu’il convient aujourd’hui de dénoncer. L’histoire d’amour frelatée a commencé en 1974 lorsque les petits gars de Pink Floyd, après avoir vilipendé l’argent fou dans Money (préfiguration de notre crise de la dette, héhé…), eurent la  fumeuse idée de participer à une campagne pour la nouvelle marque de soft chébran, Gini. Quelques annonces témoignent de cette tentative malheureuse. La promesse du cachet, 50 000£, cachait en fait une immense tournée sponsorisée par la marque. Les fans ne furent pas dupes et l’argent engrangé fut aussitôt reversé à des œuvres. La tournée, quant à elle, fut tout bonnement annulée. L’idylle s’est poursuivie depuis et aujourd’hui, les agences ont intégré des départements « son » chargés de proposer à leurs clients les musiques les plus singulières afin de positionner plus fortement leurs produits. Car la tradition ne date pas d’hier. Dans les années 80, les hérauts de la pop française écrivent pour les annonceurs. Gotainer demeure l’exemple le plus célèbre avec des mélodies aussi fameuses que juteuses, financièrement parlant, comme Infinitif, Banga et le très colonial « Saupiquet, le bon couscous qui nous plait ». A l’époque, les pubs chantées font un carton : les messages s’impriment dans les cerveaux disponibles. BANCO ! Dans les années 90, les publicitaires poussèrent le vice jusqu’à reprendre des morceaux tel quel. Précurseurs du meilleur comme du pire, on retrouve ainsi les incontournables Pink Floyd qui cette fois-ci voient leur magnifique thème de Great Gig In The Sky repris par la marque Nurofen pour son nouveau spot. La choriste Clare Torry, qui à l’époque avait prêté sa voix sublime, réenregistra pour l’occasion sa mythique partition. Pour un résultat pop mais pas top.

Contre, assurément.

Entendez bien, il ne s’agit pas là dans cette position d’une forme de sectarisme altermondialiste, mais j’entends prouver comment la publicité parfois dénature sans le vouloir les tubes qu’elle réutilise. Pour la faire courte, la publicité fonde sa théorie sur l’impact et la mémorisation. Mieux un spot est conçu, plus il aura de chance d’accrocher et de rester en tête. Exactement comme une pop song. Nantie d’une chanson forte, populaire, universelle, la campagne ne peut qu’emporter l’adhésion de tous. Constat somme toute naturel. C’est là que le bât blesse, et que débat glisse. A force d’enfoncer les portes de la mémoire immédiate, la pub version pop dépossède la chanson, la vide de sa substance pour la cannibaliser littéralement. Combien de jean-foutre avons-nous entendu dire avec aplomb en évoquant Mozart « Ah oui c’est le dernier Taureau Ailé ! ». La flûte enchantée résumée à un putain de grain de riz. On croit rêver. Idem pour les classiques que nous avions tant chéris et que l’on finit aujourd’hui par abhorrer. Prenez un exemple qui a fait école : Mr Blue Sky, symphonie pop génialement kitch imaginée par Jeff Lynne, âme pensante du Electric Light Orchestra. Je me repasse récemment le morceau, premières secondes, ouais bien, cool, Aaaargh !!! Et là je me rappelle que je dois changer d’opérateur téléphonique ! Le fait de se la péter sous forme de publicité ne l’a pas empêché de me plumer depuis plus de dix ans. Certes, j’entends déjà les défenseurs du métier, la musique fonctionnait bien avec l’imagerie (resucée de l’univers baroque des Monty Python), la pub était chouette, moderne, graphique, puissante, prenante. Mais bordel, fermez vos gueules : avec cette création douteuse, vous venez de gifler Jeff Lynne et tout le petit monde de la pop anglaise !!!!! Je passe sur le viol artistique commis sur Time To Pretend de MGMT pour une autre enseigne de téléphonie mobile orangée dont le film afficha longtemps sur les antennes sa laideur viscérale. Comble de l’ignominie, les agences s’emploient à rechercher le petit groupe pouvant potentiellement créer le buzz, le futur hit single. Ce contrat avec le diable aura certes permis à des formations indie de sortir de la clandestinité artistique : ce fut le cas des Strokes et de leur tube malin The End Has No End (au titre prophétique). Un groupe annonçant le retour du rock à guitares en pactisant avec une célèbre entreprise, fournisseur public de gaz et d’électricité, jolie ironie ! Retour de bâton quand certains groupes comme les très agaçants Black Keys finissent avec l’étiquette « mainstream » pour avoir multiplié les signatures sonores dans pas moins de trois spots. Difficile d’écouter ces œuvres sans repenser aux marques en question, véritables verrues visuelles. Vous me direz, c’était le but et les créatifs ont foutrement bien fait le job. Oui mais non. Il faudra alors envoyer ces chansons en rehab afin de se désintoxiquer de leurs velléités communicantes. Pour conclure, je me permets de passer un petit message amical aux gens du métier : ARRÊTEZ LE MASSACRE ! Il est encore temps. Avant de voir I Wanna Be Your Dog associé à une marque de bouffe pour iench. Oups, they did it again !!! Les chiens !

Quelques exemples cités :

http://www.youtube.com/watch?v=cbuFxxDIBWw

http://www.youtube.com/watch?v=5UnM_hkcO0g

http://www.dailymotion.com/video/x1br35_sfr-mister-blue-sky_fun

http://www.youtube.com/watch?v=98P-gu_vMRc

http://www.youtube.com/watch?v=-F4XH88761Q

http://www.youtube.com/watch?v=pIfyuDTWv64

Annonceur institutionnel, réalisation soignée, musique un chouia moins dénaturée :

http://www.youtube.com/watch?v=aTS3vLhMC7U

 

 

 


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