Nevermind, Kurt circuit ?

par Adehoum Arbane  le 02.11.2011  dans la catégorie A new disque in town

Loin des sinistres théories sur le club des 27, l’étoile Cubain brille aujourd’hui à nouveau de mille feux électriques. C’est une actualité relativement commerciale qui nous vaut ainsi cet élan d’optimisme. Pour célébrer dignement les 20 ans de Nevermind, incontestable classique de la formation à jeans troués de Seattle, sort un plantureux coffret nanti de titres remasterisés, de bonus tracks et autres joyeusetés du genre. Parmi ces « trésors » pensés par des staffs de marketeux, le premier mix de l’album réalisé par le producteur Butch Vig. Passons sur la petite histoire, le passage de Sub Pop à Geffen Records après la sortie de Bleach, la volonté, voire les pressions de la major pour transformer Nirvana en produit de consommation courante. Là n’est pas l’essentiel. Le débat réel se pose en ces termes : quel mix préférer, l’officieux ou l’officiel ? Pour se faire une idée juste, le rock critique décide de se frotter aux deux versions. TUUUUTT LAAALIN TOUUUUUUUUUUUU OUIINNNN YYEEAAAHHH IIIINNNNNNN. 42 minutes plus tard, l’impression fait place à la conviction.

Publicité comparative.

L’écoute attentive des deux « œuvres » ne doit pas nous exonérer d’un important travail d’exégèse. Ainsi, revenons malgré tout sur l’histoire. Alors que Bleach est livré à la postérité, le label du groupe, Sub Pop, connaît de graves déconvenues financières. Malgré des premiers pas vinyliques hésitants, pleins d’électricité sauvage, Cobain conscient de son destin désire aller plus loin. En secret, il rêve comme nombre de rockeurs avant lui, à la célébrité, peut-être même la reconnaissance de ses pairs. La signature avec une major devient pour lui la nouvelle étape à franchir. Le groupe lâche alors son batteur, Chad Channing, engage Dave Grohl (à la frappe plus musclée) et signe chez Geffen. Contrairement à ce que beaucoup prétendent, c’est Kurt Cobain lui même qui est à l’origine de cette première révolution. La deuxième s’intitulera Nevermind. Au-delà de l’hommage implicite aux Sex Pistols, l’œuvre alors en gestation se veut à la croisée des genres : la pop, le hard rock et le punk. Cobain n’a jamais caché sa fascination pour Lennon dont il se veut le digne héritier. Loin du fantasme d’une culture MTV, les douze chansons de Nevermind ont été conçues à n’en pas douter dans les forges de la pop music. Revenons au sujet, aux deux versions. Certes, le premier mix proposé par Butch Vig et refusé par le groupe offre une alternative intéressante bien qu’il s’agisse, sur un plan purement musical, d’un album de « démos » : le son y est cru, restitué dans les habits les plus bruts, sans finesse aucune ; on a affaire là à un live à proprement parler. La version finale, façonnée par Andy Wallace, semble elle plus ronde ; réellement mixée oserais-je dire. En fait, nous pourrions passer des siècles à décortiquer les deux « albums » sans arriver à se faire un avis définitif. Alors que penser ?

Une et unique.

Le débat se déplace alors sur un plan purement philosophique : une œuvre peut-elle être réinterprétée, corrigée ad vitam aeternam, voire ad nauseam ? Non. Un simple exemple. Voilà plusieurs années que George Lucas peaufine son œuvre pop ultime, Star Wars. A grands coups d’effets spéciaux numériques, de séquences ajoutées, de dialogues réinventés. Pour quel résultat ? Celui de lasser jusqu’aux fans les plus hardcore. Même constat avec la réédition du premier classique éponyme des Stooges qui propose également le mix de John Cale refusé par Elektra. Au final, les titres furent produits par Iggy Pop et Jac Holzman, Cale restant crédité comme producteur officiel. Pourtant, nous avons grandi avec ces chansons, nous les avons écoutées, aimées. Toute autre proposition ne peut relever que de l’anecdote, allez, du caprice pour collectionneur averti. Il n’y a pas de Nevermind « alternatif », tout cela n’est que pur fantasme. Le seul, l’unique Nevermind est celui qui atterrit dans les bacs le 24 septembre 1991. Injustice ou ignorance, certains allèrent jusqu’à incriminer David Geffen en personne. L’homme d’affaires serait le seul responsable des choix artistiques « douteux » et donc l’unique coupable (de quoi, d’un album culte qui s’est vendu à 40 millions d’exemplaires et qui fut encensé par la critique ???) à se mettre sous la dents. Billevesées. Certes, en 1991, David Geffen Company s’impose comme un label prospère mais aux signatures pointues, Sonic Youth pour ne citer qu’eux. Sous l’étendard DGC, les héros de l’indie rock publieront tout de même des opus du calibre de Goo ou de Dirty. Pas dégueu. Dans un registre plus « commercial », Geffen intègre dans son écurie Weezer, les petits princes geeks de la power pop. Déjà pas mal pour un boss de major. Mieux encore, David Geffen fut l’un des grands pourvoyeurs de la scène folk californienne des mid-seventies. En 1971, il fonde Asylum Records produisant des artistes distingués comme Joni Mitchell, Judee Sill, Linda Ronstadt, Emmylou Harris, Warren Zevon, Bob Dylan (Planet Waves et Before The Flood) et même Tom Waits. Certes, il cédera aux impératifs du business en faisant des Eagles les maîtres incontestés du rock FM. Cependant, la légende veut qu’il ait conseillé à Crosby, Stills et Nash d’unir leurs voix sur disque. Des témoins de l’époque attribuent l’idée à Joni Mitchell qui était à l’époque la compagne de Graham Nash. Une chose est sûre, Geffen fut leur manager. La thèse de la maison de disque, coupable d’avoir trahi l’intégrité de l’Œuvre Artistique, relève au mieux de l’analyse à la petite semaine, voire pire, de la psychologie de comptoir. Et pour cause : les années 60 ont fourni un nombre incalculable de groupes salués par la critique, certains livrant des œuvres peu conventionnelles, ayant atteint des sommets en  terme de ventes. De plus, on compte parmi les industriels du disque des légendes, de ces hommes d’affaire qui respectaient les œuvres et les rockeurs : Ahmet Ertegün qui eut un rôle certain dans la scène folk US, Lou Adler qui signa Spirit et les Mamas & Papas, Albert Grossman qui put s’enorgueillir de manager Dylan, The Band, John Lee Hooker, Phil Ochs et l’inoxydable et mythique Janis Joplin !!! David Geffen peut légitimement rejoindre leur cortège. Enfin, argument de poids : Nevermind figure à la 17ème place parmi les 500 meilleurs albums de tous les temps sélectionnés par Rolling Stones Magazine. Encore une fois, l’intérêt du Devonshire Mix n’est ici pas remis en question. Au fond, chacun reste libre de se forger sa propre opinion. Ecoutez attentivement, jugez patiemment. Mais gardez en mémoire cette réalité : une œuvre d’art existe par ses qualités intrinsèques mais aussi à travers ses défauts. Nevermind est tout à la fois une œuvre pop et punk, mélodique, intense et parfois ultra violente. Territorial Pissings demeure l’ouverture de face B la plus follement et puissamment couillue de toute l’histoire du rock.  Je dis face B et pour cause : pour ma part, je me contenterai largement, non pas de l’édition 20th Anniversary Deluxe, mais du premier pressage vinyle de l’opus… Kurtissime.

Nirvana, Nevermind-The Devonshire Mix (Geffen)

nirvana-nevermind-front1-250x250.jpg

http://gentlemec.com/nevermind-nirvana-butch-vig/


Commentaires

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08.11.2011

Voici un commentaire qui vient bien après la bataille, mais comme celle ci dure depuis 20 ans maintenant, son retard n\'en est que moindre.

Oui la version de Nevermind sortie il y a deux décennies est celle qui devait sortir. Accessible, novatrice, (la mise en avant presque abusive de la chorus qui donne à cet album cet sonorité d\'une eau de piscine trouble), pop en un mot.

Car c\'était bien l\'intention de Cobain, qui n\'a jamais renié son aspiration à produire une musique inspirée par ses premiers idoles, les Beatles. Cobain voulait le succès : ses mémoires l\'attestent, ses interviews le réfutent, mais c\'est le mix retenu qui figure comme la meilleure preuve de cette ambition (néanmoins légitime).

Car le mix proposé par Butch Vig n\'est pas celui d\'un album grand public. C\'est un son gras, épais, garage, qui, s\'il correspond à l\'intention musicale de Cobain, ne peut servir ses ambitions commerciales. D\'où refus.

Mais c\'est bien son gras, brut, sans la moindre fioriture, que l\'on retrouvera quelques années plus tard sur le In Utero, l\'aboutissement de la volonté artistique de Cobain : le son garage à la portée des masses. Car c\'est bien ce qu\'il a réalisé.

C\'est pour cela que ce mix d\'Andy Wallace était un passage obligé, et qu\'il fut à mon sens retenu.

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08.11.2011

Brillante exégèse qui va dans le sens de l\'Histoire : en effet, In Utero, portant bien son nom, devient l\'aboutissement d\'un travail, d\'une esthétique punk. Nevermind les breloques (pop) !

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