Ian Hunter, road script

par Adehoum Arbane  le 29.06.2011  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

A travers l’Amérique avec Mott The Hoople

The rock’s Good Book ! Or the best ever ?

Habituellement, quand un rockeur prend la plume c’est pour écrire une chanson, voire une série de chansons qui constitueront ensuite un album, lequel album sera promis à un brillant avenir, étoile scintillant au firmament du rock. Ici, le cas s’avère différent. Inhabituel même. Chanteur leader de Mott The Hoople, mythique combo du début des années 70, Ian Hunter s’illustra dans un tout autre genre : la littérature rock. Oh, le bien grand mot. Cet art requiert à mon sens deux qualités : posséder son sujet et faire montre d’une certaine virtuosité littéraire. Des deux Ian Hunter en est pourvu. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir ces 243 pages brutes où l’auteur se livre à un exercice authentique d’écriture : le journal intime rédigé en pleine tournée. En l’occurrence celle que fit le groupe en l’an de grâce 1972 sur les routes de l’Amérique. Car ce livre possède ce dont parfois l’Histoire, lorsqu’elle est mythifiée, est trop souvent dénuée : la vérité. Une vérité honnête, franche, simple dans les faits ou les anecdotes qu’elle relate, mais une vérité au combien touchante. Car Ian Hunter a patiemment annoté, du plus cocasse au plus banal, les péripéties que vit tout groupe lorsqu’il fait la route comme l’écrivait Kerouac. L’acte en soi demeure une aventure à elle seule, passionnante et éternelle. Il faut imaginer les rencontres, anodines, parfois rocambolesques où l’on frise mille fois la mort, les longues traversées en bus (le plus souvent) où des kilomètres de paysage défilent sous vos yeux comme un tapis déplié en décors aussi vastes que singuliers. Ian s’en fait le témoin éclairé, vif, acteur principal d’une fiction réelle. Fiction, le mot ne se retrouve pas ici par hasard. Le talent de narrateur de l’écrivain s’y exprime au point de nous emporter, littéralement, avec lui dans ce voyage. Certains passages combleront tous les amateurs de déflagrations poétiques : « L’avion se met à vibrer quand les nuages nous prennent dans leurs mâchoires… ». La certitude de ne pas avoir à faire à un nègre se ressent également dans ces lignes tout aussi naturelles, comme si elles sortait de la bouche de l’auteur plutôt que de sa plume : « Je remarque que mon bide commence à déborder de mon pantalon ». Dans cette même phrase, en plus de sa dimension lapidaire, on perçoit surtout le jugement d’un anglais en vadrouille dans un pays qu’il ne connaît que de loin, ou du moins à travers 33 et 45 tours. Le récit se transforme alors en chronique d’une Amérique bouffie, dans tous les sens du terme, par un modèle qu’elle tente d’imposer au reste du monde. Comme pour en conjurer le sort, Ian Hunter décide de s’adresser directement au lecteur/fan à la façon d’un destinataire qui attendrait de recevoir la missive tant espérée. Une intimité pour briser la solitude du voyageur face au Moloch Amerika. Cette réalité, Ian Hunter l’a dépeint avec une bonne dose d’humour anglais, seul remède efficace pour s’y soustraire. Au fur et à mesure que les pages se succèdent, aussi frénétiquement qu’un solo de guitare, je songe alors en parallèle à de film placidement flamboyant, Almost Famous de Cameron Crowe que Hunter cite d’ailleurs. On y retrouve les mêmes ingrédients : un car ou un avion bourré de musiciens, de roadies et de groupies, des bacchanales dans les faubourgs de l’Amérique, des réveils difficiles symboles d’une décennie en forme de gueule de bois où les stars déchues, parfois jusqu’à la mort, renvoient à d’autres images toutes aussi terribles, celles des rizières léchées par le napalm. Pour en revenir à la figure du rockeur, la caméra de Crowe produit les mêmes images que le récit de Hunter : derrière le Groupe, entité fantasmée depuis son invention par les Bealtes et les Stones, demeurent les hommes avec leur faiblesse.  C’est cela que notre homme raconte avec une acuité réelle. C’est cela même que je vous invite à découvrir sans attendre, ô amis lecteurs. Oh, n’y voyez aucune imprécation consumériste ! Juste un précieux conseil, de vous à moi, entre nous : entre gens initiés. Cette salutaire lecture vous emmènera autant dans les coulisses de cette tournée que celles, plus spirituelles, du groupe. De Mott The Hoople. En attendant, commencez donc par lire ces quelques lignes, brèves mais résolument captivantes. 

Shebam : La littérature rock est habituellement l’apanage du rock critic. Avec ce bouquin unanimement salué et joliment écrit, es-tu conscient de nous mettre tous au chômage ?

Ian Hunter : Je pense que tu n'auras pas de problème !

Shebam : En 72, le rock avait déjà vécu, le business tournait à plein régime et pourtant, tu sembles ne pas revendiquer le statut de star, voire t’en moquer ?

Ian Hunter : J'ai toujours pensé que la musique était plus importante que l'attitude. Il y avait beaucoup de mecs qui se la jouaient. On en faisait partie ; j'adore faire un peu de showbiz !! MAIS, la musique était la chose la plus importante et ça l'est encore aujourd’hui.

Shebam : Tony Iommi des Black Sabbath a déclaré que le hard était une forme de pop music. La décennie 70 marque l’avènement du hard rock et du glam, l’explosion du prog et les concerts dans les stades. Vivais-tu cela comme une concurrence ?

Ian Hunter : Je ne considérais pas Black Sabbath comme un groupe de 'hard rock'. Je les voyais juste comme un groupe de rock. Iommi est une exception dans le genre – il est très bon. Pour moi, tout ça c'était du rock'n'roll, bon ou mauvais. Il y avait des contretemps dans tout. Notre seule vraie compétition venait de Bowie ou de Roxy Music. On se débrouillait tous pas mal dans nos domaines respectifs.

Shebam : Le livre est en fait le journal intime, le carnet de note de la tournée américaine. Le matériel est-il brut ? Y a-t-il eu une part de réécriture à l’occasion de cette réédition ?

Ian Hunter : Aucune réécriture.

Shebam : Un groupe en tournée, les roadies, l’envers du décor, toute chose que le public ne connaîtra jamais. Ton livre reste aujourd’hui un témoignage précieux, historique. Est-ce ainsi que tu l’avais souhaité ?

Ian Hunter : C'est exactement ça.

Shebam : Cette année-là, Bowie vous avait pris sous son aile. Comment perçois-tu aujourd’hui ce prestigieux patronage ?

Ian Hunter : Bowie avait une chanson qu'il avait déjà essayé d'enregistrer mais ça ne fonctionnait pas pour lui. Il se trouve qu'on était dans le coin à ce moment-là et qu'il nous l'a donnée. On y a mis notre marque de fabrique – avec l'aide de David – et le résultat fut génial. Il a aussi produit l'album « Dudes », mais sa production était trop « light » pour nous. Tout est là, sur le master de 24 pistes ; si seulement Sony pouvait le retrouver. Bowie nous a donné un coup de pouce à un moment charnière et ça, nous ne l'avons jamais oublié.

Shebam : Dans les premières pages, tu compares Mott au Velvet Underground. Etiez-vous à ce point en marge du système ? Combien de groupes se sont-ils montés après écoute complète de votre discographie (rires) ?

Ian Hunter : J'ai lu au fil des ans que beaucoup de groupes avaient été influencés par Mott The Hoople. Mick Jones des CLASH était un grand fan qui nous suivait en Angleterre. C'est juste une de ces petites histoires.

Shebam : Bowie avait d’ailleurs relancé la carrière de Lou Reed et sorti le Velvet de l’anonymat. Voulais-tu être le nouveau Lou Reed ? 

Ian Hunter : Mon Dieu – Non !

Shebam : Il y a dans ton récit des moments très intimes, des confidences presque banales, la vie quoi. Est-ce pour toi une manière de démythifier le rock ?

Ian Hunter : C'est juste comme ça que ça se passe – sans chichi.

Shebam : As-tu en mémoire lors de cette tournée des moments de solitude ?  

Ian Hunter : Tous mes « moments de solitude » ont été occupés par l'écriture de ce journal.

Shebam : Dans l’inconscient collectif, les tournées rock sont l’occasion de folles bacchanales sexuelles, alcoolisées et droguées.  As-tu un scoop à nous révéler 39 ans après ?

Ian Hunter : Pour dire la vérité, je ne me suis jamais trop occupé des drogues ; elles étaient répandues et aussi gratuites : ça ne m'a juste jamais intéressé. Oui, il se passait des choses, mais après l'avoir fait quelques fois ça devenait ennuyant. Tu détruis une chambre une fois et tu es frustré. Tu détruis une chambre deux fois – t'es un imbécile. Tu fais 16 concerts à la suite avec des filles qui paient le concierge pour avoir ton numéro de chambre, avec de l'argent glissé sous ta porte, sans dormir, debout tôt pour prendre le prochain vol. C'est dur, même pour des hommes jeunes. Et après tu es sensé écrire un ou deux albums dans l'année. Pas facile.

Shebam : Quel fut pour toi le meilleur souvenir de cette tournée ?

Ian Hunter : Entrer dans la maison d'Elvis. Complètement débile, mais absolument mémorable !

Shebam : Et le pire ? 

Ian Hunter : Un promoteur a voulu me tirer dessus. Tony Defries (notre manager et celui de Bowie) s'est mis entre moi et le type.

Shebam : Tu racontes un moment ta quête d’objets vintage (guitare, 45t). Le revivalisme actuel, la recherche de sons vintage de la part de jeunes groupes peut se comprendre. Mais y avait-il déjà en 72 une nostalgie des décennies précédentes ?  

Ian Hunter : La musique des fifties, Little Richard et Jerry Lee Lewis. Tout fout le camp depuis.

Shebam : Etait-ce du au cynisme du business, à la coke, à la fin du mythe hippie ?   

Ian Hunter : En fait le début des années 70 était relativement épargné par le monde des affaires ; ça a surtout frappé dans les années 80. La coke était un problème pour beaucoup de monde, pas pour moi. Je n'ai jamais vraiment pensé aux hippies ; je n'y pense toujours pas.

Shebam : Ce livre constitue t-il tes mémoires ? Y aura t-il une suite ?  

Ian Hunter : Je ne sais pas du tout s'il y aura un autre livre.

Shebam : Quelle ile déserte emporterais-tu dans un disque ?

Ian Hunter : Astral Weeks de Van Morrison.

Shebam : Une citation pour l’avenir ?

Ian Hunter : L'avenir est tout ce que nous avons. Le passé est terminé, envolé.

Shebam : On inverse les rôles. Pose moi une question.

Ian Hunter : Pourquoi poses-tu autant de questions ?

Shebam : Parce que tes réponses sont trop courtes. Je plaisante, nan, en fait, je suis un perfectionniste de l’interview. J’essaye de balayer tout le spectre d’un artiste ou d’un groupe ; j’en arrive parfois à délivrer des interviews relativement longues. Et puis je crois que je demeure sous l’influence Lester Bangs : je suis fondamentalement fasciné par les interviews et chroniques fleuves, par cette idée de savoir d’où l’on part mais jamais où cela va nous emmener. Ainsi, tout devient possible si je puis dire. Mais je dois l’avouer, mes lecteurs se plaignent pour les mêmes motifs ce qui ne les empêchent pas bien sûr de me suivre et de me lire avec assiduité.

Il est des interviews qui marquent tout homme qui sommeille dans Le Rock Critic. Bien que n’ayant pas vu Ian Hunter de mes yeux vu, il se trouve que cet entretien à distance en fait partie. D’abord parce que rencontrer une légende vivante représente à n’en point douter un privilège, un moment d’exception. Ensuite parce que les légendes vivantes ne courent pas les rues. Nous arrivons à une heure cruciale où celles-ci, soit tombent comme des mouches, soit se laissent séduire par les sirènes du star système. Sans parler de celles qui sombrent tout bonnement dans l’oubli. Tout forme écrite relève du témoignage, elle s’inscrit dans le temps. Quand elle est imprimée, éditée, elle peut parfois disparaître mais jamais lorsqu’elle est mémorisée dans le Grand Ordinateur. Bordel, oubliez mes balivernes pseudo philosophiques et courez acheter ce putain de chef-d’œuvre signé Ian Hunter !

Ian Hunter, USA 1972 (Éditions Rue Fromentin)

USA-1972-de-Ian-Hunter-l-incursion-rock_rubrique_article_une.jpg

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top