Le sacre de Kan

par Adehoum Arbane  le 31.05.2011  dans la catégorie C'était mieux avant

Pendant qu’un certain Dominique nique sa carrière politique façon New York Suicide, revenons à un autre cas, un autre Kan. Alain Kan. Poète chanteur en mode dur, comme les drogues dont il fait littéralement étalage dans son deuxième opus ironiquement nommé Heureusement en France on ne se drogue pas. Disparue le 14 avril 1990, la pop star ambivalente n’a pas eu le temps de se compromettre dans une luxueuse suite présidentielle, pour autant son talent présida à une longue suite d’albums, étonnants,  détonants comme des cocktails. Quelque part en France, entre Claude François et Christophe. Quelque part entre 1975 et 1986. Récit d’un parcours chaotique et rock critique.

Prémices, pré miss ?

Enfant de 44, fils d’une France blessée, humiliée, saignée, Alain Kan doit comme tous ceux de sa génération se réinventer. Débutant sur un répertoire twist en 1963, le jeune homme façonne sur la scène de l’Alcazar son tout premier personnage, Amédée Jr,  et signe un premier single sous la férule de la chanteuse Dani. Déjà la censure guette le chanteur gay dont la liberté de ton frappe les foules qui assistent à ses shows ou tombent sur ses singles. De 1968 à 1970, l’homme écrit pour les autres tout en rêvant à un avenir solo, une carrière comme on dit. A l’époque et malgré les soubresauts de 68, la France est musicalement prostrée. Figée par la variét’. Arrivent tout juste à coexister un rock progressif lorgnant sur le jazz avec Magma, Red Noise, Gong et une Chanson plus lettrée, faisant les yeux doux à la pop. Gainsbourg bien évidemment, Melmoth assurément, mais aussi de jeunes espoirs aux mots bleus, les Christophe, Patrick Coutin, Brigitte Fontaine et bien d’autres. Alain Kan reste peut-être le plus définitif d’entre eux : lui, il sera Star ou rien. Complètement fasciné par Bowie (dont il assurera quelques reprises bizarres), obsédé par ses manières androgynes et sa violence rock, Kan pose les bases d’un univers qui s’épanchera en gouttes de sang et de sperme dans ses productions futures.

Le temps des productions futures.

1973-1974, quelques précieux singles annoncent la future couleur : Alain Kan sera, sous son propre nom, le poète glam et décadent dont la France rêvait. En 1975, il délivre à la postérité un premier album aussi farfelu qu’exigeant, Et Gary Cooper s’éloigna dans le désert. Du grotesque au sublime, l’œuvre déroute encore aujourd’hui. Les points faibles, une voix parfois grandiloquente, théâtrale en diable et dont les paroles éminemment ouvragées transcendent un art sans équivalent dans le paysage musical de l’époque. Certes, il y dans Go Go Dancer, Blacky ou Café-Cafard une tournure clinquante, une rock’n’roll attitude légèrement caricaturale. Peu importe. Le disque possède deux morceaux fabuleux, Hollywood Suicide et Nadine, Jimmy Et Moi. Hollywood Suicide d’abord. Tout brille ici par le génie de son créateur : les paroles, brèves, intenses, modernes, la musique, prenante, complexe, mêlant à cette ballade hippie, qui n’est pas sans rappeler les meilleures épopées de Amon Düül II, des nappes synthétiques blafardes. Quant à la voix, apaisée, concentrée, elle porte les mots vers des cimes ahurissantes, juste là, au bord de l’abîme. Ces 8 minutes et 23 secondes là paraissent irréelles. La production menée par Laurent Thibaut, un ancien du collectif Magma, y est pour beaucoup. Nadine, Jimmy Et Moi ensuite. Sorte de trip sensuel entre jazz et funk, dont le sens, une fois digéré par l’auditeur, trouble aussitôt les sens. Triolisme bisexuel totalement assumé, c’est à ce moment qu’Alain Kan se réclame « ouvertement » de l’esthétique Bowie. Du rock pédé, invariable et tendu, malsain et beau, féminin et viril. Dans une moindre mesure, Le Premier bébé de Lady Star Lune fascine par ses arrangements pop et son refrain cinglant comme une giclée séminale (Dominique, calme toi). La guitare s’y fait violente, hendrixienne. On navigue bien loin des canons de la variété, adieu les Claude François et autres Johnny H. L’année d’après, Alain Kan pousse son inspiration dans ses ultimes retranchements. Avec la même équipe, il sort Heureusement en France on ne se drogue pas. Là encore, le mauvais goût le dispute à l’ineffable. C’est sa marque de fabrique, à l’évidence, sa lecture toute personnelle du glam rock. Grandiloquence pleine d’éloquence. Morceau culte, Speed My Speed relève de l’inventaire à la pervers. Une longue « enfilade » de drogues. Minimalisme lysergique qui rend la chanson plus intense encore. Le reste, parfois inégal, séduit malgré tout par l’audace assumée, la morbidité suave et la désespérance d’un être tout droit tourné vers son art.

Punky Booster.

Alors que punk et new wave déferlent tels des lames de fond sur la France giscardienne, Kan lance un projet parallèle sous le pétaradant patronyme de Gazoline. Nous n’avions pas de pétrole mais bel et bien des idées. Un album est rapidement bouclé qui restera inédit. A l’écoute des singles publiés depuis, on évolue entre déflagration sonique et bordel rythmique. Punk quoi. 1979. C’est sous le nom plus énigmatique encore de Alain Z. Kan qu’il signe son troisième album solo, What ever happened to Alain Z. Kan. Ponctuée d’allusions hitlériennes (Devine Qui Vient Dîner ?), l’œuvre se voit interdite et les quelques vinyles édités qui ont échappé au pilon font aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises et des spéculations les plus folles. Entre électronique pionnière et électricité débraillée (le très réussi Histoire Noire), les mots blafards se frayent un chemin initiatique. Poétique. 7 ans ont passé, Alain Kan revient pour une dernière livraison, baroud d’honneur aux parfums de nuit. Une fois n’est pas coutume, l’œuvre s’avère radicale, parfois outrancière dans sa théâtralité qui n’est pas sans rappeler les déclamations prog de Christian Décamps de Ange. 

Épilogue.

Printemps 1990 donc. Signal coupé, perdu. Le bonhomme à bottines a disparu. S’est-il effacé dans l’anonymat ou dans la mort, nul ne le sait. Peut-être a-t-il rejoint sur une île perdue Lennon, Michael Jackson et Ben Laden. Il laisse quelques galettes serrées et cintrées comme des jeans. D’ailleurs, à ce propos, il était si beau dans sa paire de Levi’s Strauss, Kan !

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top