Syd Matters, Jonathan & moi

par Adehoum Arbane  le 23.12.2010  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

Deuxième rencontre avec un Brotherocean.

Les interviews c’est comme les concerts : cela ne commence jamais à l’heure. Je dis concert, vous le verrez par la suite. A l’heure où cette pensée surgit, il fait nuit et je m’apprête à rejoindre les bureaux de Because où Jonathan Morali, leader tranquille de Syd Matters, m’attend pour l’une de ces conversations fleuves dont nous avons le secret. Je débarque sous une pluie fine et glaçante, les portes sont fermées. Cela commence bien. J’ai toujours fait preuve dans la vie de ce que l’on peut appeler de la chance. Bref, après avoir tergiversé intérieurement pendant un long moment, je vois une jeune femme fendre le voile impénétrable de la nuit, les mains enfoncées dans les poches. Je déduis rapidement (si je ne suis pas coutumier de la chance, la nature m’a pourvu d’un sens avisé de la déduction) qu’elle travaille au label. Je lui demande de m’indiquer le chemin, ce qu’elle fait bien volontiers. Matthias, mon contact, m’accueille avec le sourire et me fait patienter. Jonathan n’a pas fini son interview. Dans l’entrebâillure de la porte, je distingue un jeune blanc-bec faisant office de journaliste. Alors que le temps s’écoule, une certaine impatience commence à gagner du terrain. Et qui menaça de se transformer en fureur quand je vis le pseudo intervieweur sortir demander un crayon. Comment ça, ce monsieur n’a pas daigné emporter un stylo ? Mais quel type de journaliste êtes-vous pour commettre un tel oubli, ruminais-je dans ma caboche. Puis vint enfin mon tour. Ouf. J’entre, salue l’intéressé qui me reconnaît aussitôt, commence la discussion en off tout en préparant mon matériel. Qui se résume à une feuille imprimée avec mes questions et Caroline, mon dictaphone. PLAY, je débute l’interview par la… Mais comment se fait-il que ? Mon dictaphone ne marche. Une panique éclair m’envahit alors. Sous les regards amusés de Jonathan qui, vous le découvrirez dans l’interview, connut naguère le même problème. Merde. Les piles ne fonctionnent plus. Je bredouille de vagues excuses, tente une diversion en allant voit Matthias qui dit ne pas posséder de piles, logique, n’étant pas droguiste de son état. Une idée brillante traverse mon esprit. Quand on n’a pas de chance, on a forcément des idées. Je me rappelle avoir découvert sur mon iPod Touch une fonction dictaphone ! Hourra ! Me voilà sauvé. Sauf qu’en essayant l’application, je me rends compte qu’il me faut un micro, que cela ne marche pas et relève de l’escroquerie moderniste pur et simple. Retour à la case départ. « Il va falloir la faire à l’ancienne cette interview » me souffle, goguenard, Jonathan Morali. Matthias surgit alors comme un diable de sa boîte avec deux petites piles dans sa main. MES PILES ! Celles qui feront fonctionner Caroline. Quelle honte. Je les glisse nerveusement dans le boîtier, appuie sur play. ÇA MARCHE ! Et là, je ne revois pas défiler ma vie sous mes yeux mais précisément la scène où je me moquais intérieurement du journaliste sans stylo. Celui qui lui succéda fut un intervieweur sans piles. Mais ce sont ces petits accidents de la vie qui font les grandes interviews me disais-je comme pour me rassurer. La main encore toute tremblotante, j’approchai l’appareil du leader patient de Syd Matters et déballai fébrilement…

Shebam : Brotherocean est sorti il y a un mois, quelles sont les dernières tendances dans les bacs ?

Jonathan Morali : Je n’en sais absolument rien. Si j’ai bien compris comment fonctionne une maison de disque, on a les premiers retours au bout d’un mois et demi. Donc je ne peux rien dire. Je sais que c’est bien pour nous, à notre niveau et par rapport à l’album précédent. C’est très bien. Mais dans le détail…

Shebam : Tu as déclaré dans la presse que ce 4ème opus était comme un nouveau départ, qu’il s’agissait presque d’une première fois. Peux-tu préciser ta pensée ?

Jonathan Morali : Ce n’est pas vraiment ça. Tout ce qui s’est passé après Ghostdays, que se soit dans ma vie ou en musique, pour moi c’est un nouveau départ. Ghostdays a clôt une période de mon  existence. Du coup, j’ai perçu la musique que j’allais faire après comme un renouveau, une renaissance. C’est cela que je voulais dire. Je me sens différent par rapport aux dernières années qui ont vu la conception de Ghostdays. C’est comme si j’ouvrais une fenêtre.

Shebam : Cela ouvre aussi pour le groupe de nouvelles perspectives ?

Jonathan Morali : Oui. La nature des morceaux était moins claustrophobique ce qui a donné plus de liberté aux autres. Même si je garde la mainmise sur les choses. C’est aussi un terrain de jeu où chacun peut exprimer toujours plus. Cela fait sept ans que l’on joue ensemble. On a appris à interagir ensemble, c’est une nouveauté.

Shebam : Tu as beaucoup travaillé tes compos sur piano. Peut-on dire que l’instrument a révélé en toi une sensibilité beaucoup plus pop ?

Jonathan Morali : Oui je pense. C’est l’instrument mélodique par excellence. La main droite sert à cela. Malgré mon peu de savoir au piano, je trouve que c’est le meilleur outil pour les mélodies, les harmonies. Tu les trouves très très vite ! Beaucoup plus qu’à la guitare qui sert à la rythmique. C’est plus difficile. Oui, cela a forcément joué sur le côté pop de l’album. Après ce que j’adore faire, c’est composer sur un instrument et ne pas l’utiliser ensuite en tant que tel au moment où j’enregistre. Je me force à rejouer note pour note à la guitare des parties composées au piano : cela crée un décalage qui est super. Et pareil : des morceaux composés à la guitare ont été ensuite joués avec un clavier. En fait dans la pop, il y un aspect ludique. Et dans la façon de travailler, le piano m’a apporté du « fun ». C’est quelque chose que j’avais perdu sur Ghostdays : l’amusement, « jouer » de la musique. La musique fun par excellence, c’est quand même la pop.

Shebam : La dernière tournée, Balades Sonores, a été l’occasion de tester l’album en public. Quelle est l’anecdote la plus étonnante qui te vient immédiatement à l’esprit ? Un moment de grâce ?

Jonathan Morali : Il y en a beaucoup ! C’est vraiment ce que l’on recherchait. Pouvoir jouer sans filet dans des endroits qui ne sont pas vraiment des salles de concert où tu ne retrouves pas ton petit confort. Du coup on cherchait l’accident heureux. Je m’en souviens d’un, c’était dans un cloître à Dijon. Tout d’un coup la sono d’appoint s’est éteinte en plein milieu d’un morceau. On n’avait plus d’électricité ! Et on a dû continuer sans interruption, pratiquement a cappella. On a fait corps tous ensemble. On savait qu’on allait continuer, que ce n’était pas grave. Un groupe est vachement parano sur scène. Le moindre petit soucis et tu peux sortir littéralement du concert, te dire « nan ça va pas j’ai cassé une corde », et t’apercevoir qu’en fait rien ne peut t’arriver. On n’avait plus de son. Et on a poursuivi le morceau. Je crois qu’on n’a jamais aussi bien joué que ce soir-là ! Un bon souvenir !

Shebam : Tous ces lieux alternatifs, hors des sentiers battus, église, péniche, ont-ils eu une réverbération particulière sur les morceaux ? 

Jonathan Morali : En l’occurrence, on a directement joué ces nouveaux titres dans ces lieux en sortant de studio. Ils étaient déjà finis, mais ça a mis en valeur le fait qu’ils étaient vivants. Ils se prêtent particulièrement à la scène et, toute proportion gardée, à une sorte de communion pendant le concert.

Shebam : Depuis la réalisation du disque tu dis rêver à nouveau : raconte-nous ton dernier rêve ?

Jonathan Morali : En fait, c’est depuis Ghostdays ! Mon dernier rêve ?!!! Notre manager Thomas Bonardi, que je cite en interview pour la première fois, nous appelle. Il était dans un cirque. Il me dit : « Je suis sur le coup, venez vite ». En fait, des extraterrestres s’étaient posés sur terre (je suis obsédé par les extraterrestres). Et il était déjà sur le terrain avec des contrats prêts à être signés. Comme s’il s’agissait d’un nouveau groupe (rires). Et je me suis marré en me réveillant. J’avais fait un amalgame chelou.

Shebam : Dans ton album, on sent une double influence : la littérature d’abord puis ce sentiment puissant que l’on ressent en contemplant la Nature. Comme chez les romantiques. Es-tu le dernier des romantiques ?

Jonathan Morali : Je ne sais pas trop ce que cela veut dire être romantique ! On m’a déjà posé la question ! J’en sais rien. Ce n’est pas une littérature qui m’a intéressée. La musique que je fais de par son côté obscur peut parfois être perçue comme cucu. Donc, je me crispe un peu sur cette notion de romantisme. C’est un truc de lovers ??? Ce n’est du tout ce que je veux dire. Si on prend le romantisme dans une expression plus large qui m’échappe un peu, cela doit dire autre chose. Une sensibilité à fleur de peau ? C’est ce que je suis. Alors je ne suis peut-être pas le dernier des romantiques mais je dois en en être un.

Shebam : Lors de notre précédente rencontre, tu m’avais affirmé que le nouvel album serait très soul ? Est-ce au fond…

1/ Parce qu’il a fondamentalement changé des choses en toi ?

2/ Parce qu’il recèle une forme de lumière quasi spirituelle ?

3/ Parce que les chœurs, omniprésents, apportent une patine « gospel » ?

4/ Pour une autre raison qui m’aurait échappée ?

Jonathan Morali : Ce que j’appelle soul, ce n’est pas une forme de musique. Ce n’est pas dans mes racines. C’est en fait une sorte de spiritualité sans religion. C’est que l’on cherchait à restituer à travers ces chansons. Je me suis sûrement un peu avancé en disant cela (rires). L’idée était de transcender les choses, de lever la tête vers autre chose de plus puissant que soi. Je ne suis pas quelqu’un de religieux et il n’y a pas dans ma musique cette dimension-là. C’est plutôt une forme de foi, de luminosité pour être plus précis.

Shebam : La marque de ton instrument fétiche, celui sur lequel tu composes ou tu aimes jouer en live, et l’histoire de son acquisition ?

Jonathan Morali : L’instrument qui n’arrête pas de m’inspirer et qui est pourtant très limité, c’est un petit synthé Casio. Je n’ai pas les références exactes. Je l’ai acheté complètement par hasard dans un Cashconverter pour 40€. Il a le son de voix le plus beau que j’ai jamais entendu dans un clavier. Il est à peu près dans toutes les chansons. Je me vois bien composer encore 150 disques avec ! Ça va être un peu chiant mais… bon… (Rires).

Shebam : Question sociétale : Après 62 ans, accepteras-tu de t’enfermer des mois durant pour produire des doubles albums concept avec orchestre philarmonique et instruments 70s ?

Jonathan Morali : (Rires) Tu me connais si bien !!! Je n’en sais rien ! Je m’aperçois que ce sont des activités intenses. Ça brûle ! C’est éprouvant ! Alors, évidemment je ne vais pas faire le petit musicien qui se plaint : j’aurais pu travailler dans une mine. Mais, moi, après un album, je suis toujours au fond du trou. Tu perds toute confiance en toi, tu trouves que ce que tu fais est pourri. Que c’est de la merde. Une remise en question permanente, quoi ! Donc à 62 ans, je me souhaite autre chose : d’avoir des petits enfants, d’être pénard, de me dire à quel point il est agréable de se mettre sur la terrasse à 18h pour boire un thé.

Shebam : J’ai rencontré récemment un musicien qui me disait surtout que la musique c’est comme le sport : on peut avoir des carrières courtes mais qu’à un moment on peut passer à autre chose. C’est ce que tu te dis ou « Allez, je suis comme Mick Jagger, je gagne des millions, je suis toujours là quoi qu’il arrive ».

Jonathan Morali : Moi je ne me dis rien parce que je ne me projette absolument pas. Mais il ya deux aspects très importants dans la musique : le travail qu’une création implique, peu importe qu’il s’agisse de musique, de peinture ou même d’artisanat. Tu dois créer quelque chose qui n’existe pas et lui donner un sens. Il y a donc quelque chose de compliqué et d’usant. Mais il y a autre chose. Être musicien, c’est un mode de vie. Un musicien ce n’est pas seulement un créateur, c’est quelqu’un qui vit d’une certaine façon. Des mecs comme Mick Jagger ou Neil Young, plus Neil Young d’ailleurs, Mick Jagger c’est encore autre chose. Neil Young donc, tu sens le mec qui passe sa vie sur la route, qui écrit, enregistre et qui repart encore et encore. Du coup, c’est très difficile de changer de mode de vie. Je suis un peu partagé. Mettre autant d’affects dans ce que tu fais pendant aussi longtemps, moi ça me fait un peu peur. Mais en même temps continuer à avoir la vie que j’ai construit : mes horaires, ma façon de communiquer avec les gens, de voyager, c’est quelque chose que je veux faire le plus longtemps possible. En même temps, j’en sais rien moi !!! Peut-être qu’il faudrait que je devienne simple musicien, que je me mette au service des autres en restant malgré tout dans un cadre de vie particulier.

Shebam : Et produire ?

Jonathan Morali : Je me sens plus musicien que réalisateur ou producteur. Ça peut m’intéresser mais je ne veux pas finir à terme dans un studio d’enregistrement et y passer toute ma vie : « Alors coco, ta chanson elle est bien mais on va rajouter des cordes ». C’est annexe même si cela peut être enrichissant de se placer à une autre étape du processus de création d’un disque. Mais ce n’est pas viscéralement ce que je veux faire.

Shebam : C’est là où l’interview devient alternative ! Tu dois piocher une question au hasard…

(Pour toi lecteur, je les délivre toutes)

1/La petite manie, sur scène ou en studio, que tu détestes le plus chez l’autre ?

2/L’anti Brotherocean découvert récemment et que tu préfères par-dessus tout ?

3/Slip, caleçon ou boxer ?

4/Question rock & look : Converses, Vans ou autre ?

(Il en choisit une)

Jonathan Morali : Question rock & look : Converses, Vans ou autre ? Définitivement autre ! Je déteste les clichés. J’ai bien conscience que je rentre forcément dedans. J’ai eu une crise l’année dernière. Je me suis dit « c’est pas possible, je mets des chemises à carreaux, j’ai une barbe de trois jours, un sac de marque, je suis un putain de cliché de parisien à la con. Maintenant, je vais m’acheter des pantelons en velours côtelé et des anoraks rouges et je serai comme ça ». J’ai eu une crise de look ! Donc là, je ne te dirai pas Converses parce que franchement il y en a trop. Ce qui m’énerve : dire ce que quelqu’un écoute en voyant sa gueule ou son look. Non, je n’ai pas envie d’être réduit à ça.

Shebam : Ce n’est pas un truc qui a tué le rock ? Les Beatles, quand ils ont commencé avec leurs petits costumes cintrés, leurs coupes au bol, les Stones avec leurs bottines, ou un mec comme Morrison, tous ont inventé l’idée d’image. A cause de cela, ne s’est-on pas davantage intéressé à l’apparence qu’à la musique ? Cela influence-t-il les maisons de disque dans le choix des artistes ?

Jonathan Morali : Certainement. C’est aussi pour cela que la place de Syd Matters dans le paysage musical est un peu bizarre. On a une certaine musique qui peut plaire et qui n’est pas selon moi une musique spé, qui s’adresse à un public très défini, qui reste accessible mais on ne joue pas le jeu de l’image, du personnage. Un des pires trucs qu’on dit quand tu entres dans une maison de disque et qui m’a soulé pendant longtemps : il faut créer une histoire. C’est-à-dire qu’il faut par un autre biais que la musique donner de l’intérêt à ce que tu fais. Que ce soit par des clips, une gueule, des photos. Moi dans ma démarche, je fais de la musique parce que je ne veux pas faire autre chose. C’est pour ça que je me suis enfermé dans ma chambre à 15 ans, pour fuir le reste. Ça a aussi créé un type de musique populaire. Les Beatles ont été énormes bien entendu par la qualité de leur musique mais aussi par la maîtrise de leur image. Il y a groupe américain que j’adore : Midlake. Je ne les ai jamais vus sur scène mais 90% des gens qui les ont vus disent « ils ne ressemblent à rien ces mecs ! ». Moi je trouve ça super ! Ils font une des musiques les plus intéressantes du moment dans la pop. J’ai un respect infini pour ce qu’ils ont fait. Mais ils ne jouent pas le jeu du packaging. Tu fais de la musique cool, mais tu as aussi ton style, ton groupe, ta scène d’amis, tous ces critères sur ton CV. Moi, si je ne pouvais exister que par la musique, ce serait le rêve. Si on est reconnu ce n’est que pour la musique parce qu’il n’y a rien d’autre à côté. Je suis fier de peu de choses mais de ça, oui. Je suis content d’avoir construit ce projet-là sans avoir dévié vers quelque chose que je ne veux pas faire. 

 Shebam : Tu as le droit de reprendre une autre question.

Jonathan Morali : J’ai bien répondu j’espère ?

Shebam : Oui, oui !!!

Jonathan Morali : L’anti Brotherocean découvert récemment et que tu préfères par-dessus tout ? Très bonne question. Laisse moi deux minutes…

Shebam : Il y a encore des piles c’est bon !

Jonathan Morali : Putain, je ne sais pas là comme ça. Avoir le sentiment d’écouter quelque chose qui va à l’encontre de toutes les envies que j’avais pour ce disque mais que je trouve génial, ça m’arrive assez souvent. Ce que j’aime ce n’est pas du tout ça. Je suis obsédé par le EP que vient de sortir Sufjan Stevens mais on ne peut pas dire que c’est l’anti Brotherocean dans le sens où je sais pourquoi j’aime ce disque : c’est chatoyant, il y a un art de l’arrangement qui est ciselé, un travail sur les voix qui est énorme. C’est le Brotherocean du riche ou peut-être que nous sommes les Sufjan Stevens du pauvre. Mais ça reste dans la même famille. Oui voilà, le dernier Arcade Fire que j’aime beaucoup. En terme de production, ils tendent vers l’épure là où j’ai essayé de sortir d’un certain carcan, d’une conception un peu sèche. Eux sont allés dans une autre direction que la mienne.

Shebam : Il y a des réalisateurs qui ne peuvent pas revoir leur film, des musiciens qui disent détester leur disque. Mais pour toi, y a-t-il dans Brotherocean un morceau que tu adores, indépendamment de son histoire, de son élaboration, en tant qu’auditeur, comme si tu n’étais pas Syd Matters ? 

Jonathan Morali : Je ne peux pas être auditeur mais je peux malgré tout aimer plusieurs de mes morceaux. Pour des raisons qui me sont propres. En fait, c’est toujours le même type de chansons qui me plait et il y en a toujours une ou deux par disque. Ce sont des morceaux qui sont vraiment nés en studio, que je n’ai pas maquetté à la maison, que j’ai découvert au moment où je les ai enregistrés. Et un morceau qui me tient particulièrement à cœur dans Brotherocean c’est Wolfmother. Il s’agit d’une synthèse de thèmes de piano, de mélodies que j’avais depuis longtemps et que je n’arrivais pas à mettre en forme. Surtout, je ne voulais pas les enregistrer parce que cela me faisait un peu peur. Je sentais que je n’avais pas encore de chanson avec ça. La première fois que j’ai écouté le titre, c’est le jour de l’enregistrement de toutes ces parties. C’est une chanson qui conserve pour moi une part de nouveauté, de magie. Je ne sais pas si c’est le meilleur morceau ou même un bon titre : mais c’est celui qui recèle le plus de mystère pour moi.

Shebam : Une citation pour l’histoire ?


Jonathan Morali nous lit un passage du roman de John Banville, la mer. Ce roman fut l’une des influences majeures de Brotherocean dont les sonorités ourlées sont un fabuleux miroir à cette histoire. Alors que l’interview touche naturellement à sa fin, sans le savoir, j’ai pris soin d’envoyer les quatre mêmes questions à chaque membre du groupe plus une question surprise en forme de message au leader. Voici leurs réponses, franches, drôles, naturelles. En espérant que Jonathan Morali les découvrira et que chacune fera se dessiner sur son visage un sourire comme lors de cette interview une fois de plus très geek.

Shebam : Question rock & look : Converses, Vans ou autre ?

Clément Carle : Une bonne paire de charentaises fourrées pour l’hiver !

Shebam : On inverse les rôles. Quel message veux-tu faire passer à Jonathan ?

Clément Carle : Sympa ce que tu fais…

Shebam : La petite manie, sur scène ou en studio, que tu détestes le plus chez l’autre ?

Jean-Yves Lozach : Dans Syd Matters, on n’a pas trop ce problème, mais en général, dans un groupe, il y a toujours un des musiciens qui disparaît au moment de ranger le matériel et qui revient après que tout soit fini !

Shebam : On inverse les rôles. Quel message veux-tu faire passer à Jonathan ?

Jean-Yves Lozach : Je n'ai pas de message en particulier à lui faire passer, mais j'ai 2 questions à lui poser : Quand vas tu enfin passer ton permis (Olivier aussi) ? As tu déjà fait de la prison, gros malin ?

Shebam : L’anti Brotherocean découvert récemment et que tu préfères par-dessus tout ?

Olivier Marguerit : Jimi Hendrix-Are You Experienced ? C’est un disque et un musicien que je redécouvre en ce moment. J’étais resté sur mon souvenir d’adolescence vis-à-vis de Jimi Hendrix et depuis maintenant un mois je réécoute tout avec des oreilles fraiches et je perçois son travail de compositeur, de chanteur etc. Je ne crois pas que l’on puisse qualifier ce disque d’antithèse à Brotherocean mais il y a ici une démarche très différente de celle que nous avons eu sur notre album. Nous cherchons un juste équilibre pour que chaque morceau puisse être écouté plusieurs fois, se découvre et se redécouvre encore et que l’on puisse vite se l’approprier. Chez Hendrix, on sent une urgence, un lâcher-prise. Il s’autorise des erreurs, des approximations qui donnent quelque chose de très sauvage à son travail. Là où nous réfléchissons et peaufinons chez Syd Matters, Hendrix éructe, salit et j’aime cette démarche. Je sais que Jonathan se reconnaît aussi dans cette démarche mais en studio nous discutons/tergiversons toujours trop et perdons à mon avis une part d’urgence,  d’animalité.

Shebam : On inverse les rôles. Quel message veux-tu faire passer à Jonathan ? 

Olivier Marguerit : Premièrement le remercier de m'accorder sa confiance et de m'inviter à travailler à ses côtés. Deuxièmement, lui dire de ne pas avoir peur d'en faire un poil trop par moment si ça sert son intention. A trop cacher, on est parfois invisible. Troisièmement, qu'il me rende mon disque de Wayne Shorter "Speak no evil". Il me dit qu'il ne l'a pas mais je suis quasi sûr de le lui avoir prêté il y a quelques années (comme ça je lui rendrai Destroyer que j'ai dû lui emprunter il y au moins 5 ans).

Shebam : La petite manie, sur scène ou en studio, que tu détestes le plus chez l’autre ?

Rémi Alexandre : Ce n’est pas vraiment lié à la musique mais aux tournées et à la promiscuité. Lorsque tu tournes en hiver et qu’il fait très froid dehors, au bout d’une heure de route le camion se transforme en un véritable cocon de chaleur. Et c’est toujours quand tu viens enfin de trouver le sommeil réparateur qu’il y en a un (et toujours le même) pour s’allumer une clope et ouvrir la fenêtre. Le cocon se transforme en glaçon puant. Pourtant, je suis un grand fumeur. Mais je déteste quand ce mec fait ça. Merde, il est 9h00 du mat’ !!!

Shebam : On inverse les rôles. Quel message veux-tu faire passer à Jonathan ? 

Rémi Alexandre : S'il te plait ! Arrête les clopes dans le camion quand il fait 2 degrés dehors et que tout le monde dort !! La bise en passant. 

Tout est dit. Enfin de mon côté. Jonathan, une réponse ? Un commentaire ?

Quelques semaines plus tard, alors que l’hiver semble s’emparer du paysage, allant jusqu’à faire trembler les os de la terre, je me retrouve devant cette salle que je connais si bien : le Bataclan. J’y eus la chance de voir se produire des groupes légendaires comme Caravan et bien d’autres encore. A la manière d’un théâtre, le Bataclan se dessine en u. La foule y est nombreuse. Compacte. Forcément, on attend Syd Matters, formation phare du nouveau rock en France. Puisant dans les racines les plus lointaines du genre, folk, pop, le groupe arrive à y ajouter ce qu’il faut de mélancolie planante pour lui conférer toute sa singularité. Pendant que je plante intellectuellement le décor de Syd Matters, on s’affaire au bar. C’est un lent cortège de gobelets d’un blond solaire qui se déplace alors sous mes yeux. Et si j’allais en faire de même ? Une gorgée me permet de m’extraire de la chaleur étouffante qui brise la salle. On est venu en masse pour assister à ce set. La suite donna raison à cette impression. Première partie, calme, prenante, qui arrache à la foule quelques applaudissements, puis retour à la lumière. Comme d’hab’, les roadies prennent le relais. Ces mecs sont incroyables, car il faut bien le dire, ils manœuvrent avant le show pour qu’une fois sur scène les musiciens puissent s’éclater. Et à chaque fois c’est la même réaction qui trahit l’impatience. Un roadie qui déboule et le public se met à siffler, crier, exulter croyant à l’arrivée du groupe. Marrant. Les minutes s’écoulent comme anesthésiées, on tape du pied pour oublier, on papote, moi je me plait à analyser la sociologie de la salle : quelques cadres encravatés, des poules de luxe, de jeunes parisiens à mèche, comme ceux dont parlais Jonathan dans son interview. Tout autour de moi, les Converses trépignent, les Vans se languissent, les chemises à carreaux veulent suer. Moi je siffle tranquillement ma bière en priant qu’elle n’ait pas trop d’incidence sur ma modeste vessie dont les capacités de stockage ne demeurent pas éternelles. La lumière décline, le son s’interrompt, des ombres se bousculent on stage. Une bruyante salve d’applaudissements vient tapisser mes oreilles. Le concert commence. Du début jusqu’à la dernière minute de rappel, je fus plongé dans une forme d’extase tendue. Je retrouvais les harmonies profondes de Syd Matters mais avec un traitement rock efficace. Je vous épargnerai la chronique classique, morceau par morceau, avec les banalités du genre, pour résumer ma perception de ce set en deux points. 1/ Syd Matters fait partie de ces rares formations à rester tout aussi passionnante sur scène. Jamais les musiciens ne cèdent à la facilité de reproduire avec exactitude le son du disque. Le live demeure une expérience à part entière, un moment précis dans la vie d’un groupe où il part à la rencontre de son public. Certes, celui-ci dans une logique parfois pantouflarde n’aspire qu’à réécouter les tubes qu’il avait tenus pour acquis, dans la forme comme dans le fond. Mais le rôle de l’artiste n’est-il pas de bousculer les conventions ? Les habitudes ? Passionnant de bout en bout,  on se plait à redécouvrir ces morceaux sous une forme nouvelle, parfois plus preste, à certains moments pris dans une lenteur dionysiaque. La track liste fait bien entendu la part belle aux nouvelles compositions mais on retrouve avec plaisirs les « classiques » des précédents albums. Ils apparaissent meilleurs encore. Et j’en viens au deuxième point. 2/ Le groupe a réellement progressé. La maîtrise instrumentale, flagrante et jouissive, donne à chaque titre une dimension incroyable. Les musiciens, à force de tourner, et parfois dans des lieux iconoclastes, sont en pleine possession de leurs capacités. Aucune fausse note, aucun temps mort, une audace de chaque instant. Telles sont les impressions qui se précipitèrent dans ma tête au moment où je songeais à ma future chronique. Chez moi, cela ne trompe pas. Lorsque je suis pris par l’envie irrépressible d’écrire, c’est que le disque ou le live est bon. Voire même très bon. J’ai ressenti la chose à divers moments, par exemple, lorsque je découvrais dans le confort moelleux d’une salle de cinéma cet ovni qu’est Donnie Darko. Une œuvre intense, dans sa production ou sa restitution, possède le pouvoir d’inspirer les hommes. Moi en l’occurrence. Là encore, l’énorme travail sur les chœurs et les percussions qui constituaient la matrice sonore de Brotherocean se perçoit sur scène. D’où l’idée même de puissance qui ne tient pas seulement au volume grâce auquel la musique arrive à nos oreilles, la puissance, la tension, la force intérieure, cette spiritualité dont parlait le songwriter plus haut, s’exprima ce soir-là pour mon plus grand bonheur. Car il ne faut jamais oublier que dans tout rock critic sommeille un fan éperdu.

 


 

 

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