The Moody Blues, this is it

par Adehoum Arbane  le 05.10.2010  dans la catégorie C'était mieux avant

À l’heure de la technologie à haut débat, des téléphones qui font « aïe », des réseaux sots et sociaux, il convient de revenir aux vieilles valeurs : les VALEURS SÛRES. Investir dans l’ancien demeure un réflexe commun à tous. C’est dans cet esprit délicieusement passéiste que je me suis replongé dans l’œuvre des Moody Blues. A la faveur d’un dîner en agréable compagnie, celle d’un vieux camarade avec qui je partage une passion certaine pour les soirées vinyles où les grands crus coulent à flot, nous écoutâmes la plantureuse compilation This Is The Moody Blues, parue le 8 octobre 1974. Malgré une pochette datée des plus kitchs, les deux galettes résumaient cinq ans d’une carrière fort respectable. Alors que les verres se vidaient, nous jubilions en découvrant que les Moody Blues avaient remixé leurs morceaux afin qu’ils puissent s’enchaîner de façon fluide et harmonieuse. Un parti pris qui servait la musique vaporeuse des cinq de Birmingham. 

Quelques jours après, j’avais réussi à obtenir la précieuse édition d’origine. À mesure que les morceaux passaient, dans un son chaud fait de caresses et de doux craquements, je songeais au destin des Moody Blues. C’est étonnant comme ces musiciens ont pu être à contre temps de leur décennie. A rebours de toute mode. Car là où les Beatles, Traffic, Soft Machine et autres Floyd étaient frais, hype, dans le coup, les Moody Blues semblaient un tantinet décalés. Quand ils avaient vingt deux ou vingt sept ans, ils en paraissaient quarante. Comme si de vieux oncles de province avaient subitement décidé de monter à Paris pour former un groupe pop. Leurs moustaches n’arrangeaient rien, pas plus que leurs tenues pourtant en vogue à l’époque. Et puis la musique. Pleine d’accents romantiques, d’envolées lyriques. Des pop songs racées, gorgées de ce fameux mellotron qui fera la gloire du mouvement progressif et qui frôlent parfois la variété. Et pourtant le charme opère. Immédiatement. Un truc de dingue. Malgré la maîtrise instrumentale, une ambition réelle, celle de marier rock et musique classique, nos porteurs de bacchantes, certainement adeptes des soirées sous-pull et pipes bien bourrées, se transformèrent très rapidement en tendres has been. Mais avec des chœurs en cascade. Façon « vieux chanteurs à la croix de bois » tout droit sortis de Carnaby Street. Blague à part, je sentais mûrir en mon esprit une théorie apte à définir leur musique. Ecouter les Moody Blues c’était comme savourer un bon vieux cognac dans un verre à cognac, s’il vous plait, en fumant un cigare Havane piqué à son beau père, érudit et capitaine d’industrie, bouger son séant dans un club et percevoir dans le silence des lambris les craquements du cuir, parcourir un Playboy millésimé 1962 (une situation qui siérait parfaitement avec la précédente), trouver dans une foire à tout un meuble de style à l’incontestable valeur (financière ou sentimentale, à voir), déboucher un vieux Bordeaux oublié dans la cave d’un vieux château que des héritiers eux-mêmes oublièrent par sottise ou inconscience, s’habiller à son retour du travail, fourbu par l’effort et le stress, d’un peignoir de salon en soie fluide, rehaussé de motifs et tapissé de velours, se lancer dans une folle partie de rami ou de bridge avec de sympathiques grandes MILF natives du XVIe (arrondissement ou siècle, c’est à voir), filer sur les routes de Normandie par un beau dimanche après-midi après un poulet/petits poix cuisinés par madame au volant d’une Aston Martin, d’une Jaguar Type E, voire d’une Citroën 15 nouvellement achetée, se rendre à l’office de 10h30 en l’église de la Sainte Trinité avenue Paul Doumer à Royan et à la sortie aider une charmante petite vieille dame croulant sous la verroterie à traverser la rue, manger une fois par an dans l’argenterie astiquée par la petite bonne qui l’est, ressortir ses vieux mocassins à glands et se mirer dans la glace avec une fierté à peine feinte, regarder les passes d’arme drôles et charmeuses entre Dany Wilde et Brett Sinclair dans Amicalement vôtre avec, bien entendu, les doublures voix de Michel Roux et de Claude Bertrand, se coucher à 21h32 dans la chambre boisée d’une maison de vacances et relire pour la cent vingtième fois l’édition souple de S.A.S. Le bal de la Comtesse Adler en n’omettant pas de jeter un coup d’œil furtif et coupable à la première de couverture vieillie par les ans, aller chercher les journaux en vélo, antique de préférence, ou en solex, plus rapide et surtout plus rare, penser à enfiler un blouson en daim et des gants de pécari (quand on sort l’Aston Martin, la Jaguar Type E voire la Citroën 15 pour la fameuse et traditionnelle ballade dominicale), allumer un feu de cheminée et faire ensuite l’amour sur une peau de bête, ours blanc, lion ou panthère, c’est selon, écouter la messe de Saint-Hubert jouée par l’Orchestre Fanfares de trompes de chasse aux éditions Fontana, entamer une folle partie de Scrabble ou de Nain Jaune avec des cousins pas revus depuis dix ans et se surprendre à tricher afin de ne pas perdre la face, les années effacent parfois le lustre patiemment accumulé, se remettre à porter sa vieille chevalière remise à ses dix huit ans par un père aimant et attaché aux rituels familiaux, préférer un Konica AutoReflex T à tout appareil photos numérique dernier cri, organiser une séance diapo des meilleurs souvenirs de vacances passées avec ses parents entre juin 78 et septembre 84, recontacter son premier flirt rencontré lors de la soirée de fin d’année du Lycée Pablo Neruda et découvrir avec stupeur que celle-ci à changer de sexe à la faveur d’un bilan de carrière un peu trop radical, songer la larme à l’œil au jour béni où l’on s’est fait dépuceler par la voisine de ses parents, épouse de notaire, qui tous les samedis venait bien innocemment tremper son biscuit dans un thé fait maison et dont le visage rappelait étrangement cette prof de math sur laquelle on fantasmait gaiement, déclamer du Byron, du Shakespeare ou du Shelley en vieil anglais sous le balcon d’une sublime et jeune sotte en se frappant le cœur tout en réveillant des parents qui surgissent alors sur le pas de porte en pantoufles et robes de chambre en éructant quelques vagues menace à l’encontre de la Jeunesse Impétueuse et cætera et cætera et cætera… 

Les Moody Blues concentrent toutes ces impressions et pour cause : ils étaient déjà en leur temps un groupe d’antan et ce n’est pas la voix de crooner mélancolique de Justin Hayward sur Watching And Waiting, les chœurs quasi féminins sur A Simple Game, la gigue délicieusement idiote de Legend Of A Mind, la flûte alanguie de Dear Diary, l’innocence chevrotante de Eyes Of A Child, la dramaturgie brumeuse et emphatique de Melancholy Man, la suavité poignante de Tuesday Afternoon, les vieilleries déployées et les symboles surchargés qui s’épanchent en flots incessants dans Question, le romantisme érotique pas encore classé X de Night In White Satin, la lucidité désarmante de I’m Just A Singer (In A Rock’n’Roll Band) qui démentiront cette certitude. Cette musique inoffensive en deviendrait presque fragile donc précieuse : on la sort d’un coffre oublié dans un vieux grenier poussiéreux pour la contempler et on la remet aussitôt de peur de l’altérer. Touchants, anachroniques et pourtant éternels, rassurants comme des grands frères, fidèles, élégants, sérieux, ombrageux, archaïques mais magnifiques. This Is The Moody Blues n’a jamais aussi bien porté son nom.

The Moody Blues, This Is The Moody Blues (Treshold Records)

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