Arnaud Fleurent-Didier, La reproduction

par Adehoum Arbane  le 16.06.2010  dans la catégorie A new disque in town

 

... D’un dialogue numérique & rock critic.  

Il y a cinq mois environ. Quelque part dans les méandres de l’Internet, une étrange conversation se déroulait inlassablement, en lignes de « chat » passionnées et convulsives. Certaines de ces phrases ne ressemblaient en rien à ce que l’on pouvait lire habituellement, mots et expressions saisis alors dans une orthographe html des plus rudimentaires et dont l’aspect le plus frustre ne traduisait que l’indigence, la pauvreté blême de l’esprit. Rien de tout cela n’y figurait. Cet échange quoique privé, entre deux adresses gmail, je me dois de le publier aujourd’hui. Il fit l’objet d’une découverte qui se mua aussitôt en une conviction partagée. Dernière précision : cet ami, sans doute future vedette de la variété française, tenait à utiliser le nom d’emprunt de LOL75 afin de ne pas se faire d’ennemis ou d’amis encombrants trop tôt dans le métier.

 Moi : Le dernier Arnaud Fleurent-Didier quand même…

 LOL75 : Nous sommes donc d’accord.

 Moi : Nous sommes toujours d’accord, enfin sauf quand je prends la défense de la scène progressive norvégienne des années 72-73. Mais cela va sans dire, ta réaction de défiance est somme toute naturelle.

LOL75 : Mais pour parler sérieusement, c’est le retour d’une certaine qualité made in France. Tant et si bien que dans un an et demi, tout le monde écoutera de la variété française. Tous les blogs l’affirment !

Moi : La variété française devient respectable.

LOL75 : On pourrait dire les choses ainsi. Nan mais, on va enfin pouvoir é-cou-ter de la variété française ! Tuons pour de bon Matthias Malzeu, Dionysos et ces affreuses années 2000 !

Moi : Pour en revenir à l’œuvre, celle-ci est proprement hallucinante.

LOL75 : Les instrus sont fabuleuses. Surtout sur le morceau titre, Reproductions. J’adore ce passage où AFD chiale presque quand il dit « Ce type est fort quand même… ». Très touchant. Et l’introduction de Ne sois pas trop exigeant, c’est Shine On You ! Après une écoute attentive, au casque cela va sans dire, tu te rends compte à quel point c’est grandiose.

Moi : Toute l’histoire de la pop musique est compactée (sans mauvais de jeu de mots) dans les quarante et une minutes de l’album. J’en reste sous le choc. Et le texte, les mots, les idées…

LOL75 : Le sens caché ! Attends, le coup du travelo qui a un beau cul…

Moi : « Un cul efficace ». Purement et simplement génial.

LOL75 : Une allégorie très dérangeante mais sublime. La claque (ne cherche ici aucun jeu de mots). Et puis là, sans crier gare, le morceau enchaîne sur une mélodie jazz très nouvelle vague. J’ai l’impression de mater un film de Truffaut. Le milieu du disque, c’est le summum je trouve. 6-7-8, bim ! Je vais au cinéma, Ne sois pas trop exigeant, My Space Oddity : le climax du disque.

Moi : J’aime dans My Space Oddity comment l’histoire débute, ce côté populaire du football. Et puis ce moment où la chanson part à la dérive. Cet hymne à la socialisation tout en restant dans le calme feutré d’un intérieur bourgeois.

LOL75 : « Et j’veux des amis japonais ». Les cordes, la force du titre… Je chiale.

Moi : « Je veux connaître un irakien », c’est dingue. C’est la première fois que l’on parle de l’Irak sans plomber l’ambiance avec ce côté protest song qui est mort avec Dylan. Dylan n’est pas mort physiquement. Le fait de jouer dans les stades l’a juste tué artistiquement. Marre des Springsteen de la bonne conscience occidentale. Donc rencontrons tous des amis irakiens !

LOL75 : Tu parlais de cette fascination de AFD pour la culture populaire. Tu mets le doigt sur un aspect fondamental de son travail. L’ironie, c’est que France Culture, la radio, va finir par utiliser son single comme jingle, la partie instrumentale je veux dire.

Moi : Et tout cela finira en sample dans un tube de rap west coast. Triste…

LOL75 : Mais oui ! En fait le problème, c’est qu’il divise les Branchés. AFD est trop parisien pour devenir populaire. C’est quand même dramatique. C’est pour cette raison que l’album ne marchera pas.

Moi : s’il faut raconter des histoires de plateaux repas à deux devant la télé comme Bénabar pour vendre du disque, c’est en effet désolant.

LOL75 : Il est pire que parisien. Il ne parle que de la Place Clichy.

Moi : Je voudrais revenir sur ton propos liminaire : ce renouveau de la chanson française que cette génération va irrémédiablement porter. De telle manière que bientôt la façon d’appréhender la musique va changer. On ne parlera plus de variété mais de varyéyé, pas plus qu’on ne dira chanson française mais plutôt chansong française. On va sortir de cette conception chiante fondée sur le texte et où la musique n’est considérée que comme une toile de fond, un bête accompagnement. Le slam a tenté ce coup d’état. Un texte plaqué sur une bande sonore achetée sur des sites de banques audio. Avec AFD, on reparle son de basse, production et overdubs. Nan, mais j’ai l’air de plaisanter mais c’est historique.

LOL75 : La dimension conceptuelle va plus loin. Le visuel est largement exploité. Je repense à son set sur le plateau de Taratata. Putain, les meufs en combis, c’est magnifique quoi.

Moi : Et les clips promotionnels ! Très seventies ! AFD est une sorte de Marco Ferreri pop ! Il y a dans ses textes une sexualité latente qui me fait songer aux films de l’époque et pas seulement les pornos shootés en 16 mm. Ecoute les feulements de voix sur Risotto aux courgettes.

LOL75 : Oui ! L’idée du coup de fouet sur Risotto aux courgettes, c’est tellement beau. Le sens caché, mec, ce putain de sens caché qui l’habite.

Moi : Hummmm… Jeu de mots ?

LOL75 : Qui sait… Chez lui, même la promo s’honore du porno. Quand il parle de ses musiciennes, Dorothée et Milo, il lâche un très ambigu « J’aime les filles parce qu'elles se lavent ». Ce mec m'énerve. Je suis jaloux de tout, de son univers. Il est tout ce que je rêverais d'être et en même temps tout ce que je ne supporterais pas être.

Il est…

L’élégance

La culture

Le charme

La réaction

L’élite

La beauté

Mais il ne sera jamais

Le peuple

Le sentiment brut

Le front

Le sexe

Tout ce qu'il décrit je l'ai déjà ressenti en tant que bourgeois cultivé qui ressent les choses mais est éduqué à ne les vivre que de loin (chose que j'ai dès mes 20 ans refusée en bloc). J’ai toujours été tiraillé entre cette réserve/élégance/devoir d'analyse cultivée très bourgeoisie intelligente et l'élan vulgaire de l'abandon total dans la fiente de l'émotion. S'il fallait faire une analogie de ces deux forces contradictoires avec deux groupes de rock’n’roll, j'affronterais les Doors au Velvet, tu vois ce que je veux dire ? Ou Brel vs. Gainsbourg. La générosité contre le dandysme.

Moi : Ah le charme discret de la bourgeoise qui oppose au cynisme héroïque des uns la politesse et la loyauté des autres. Pour en revenir à Risotto aux courgettes, les flûtes y sont magnifiques. Cela fait longtemps que je n’avais pas entendu de flûte dans une œuvre pop. Là où le disque devient fondateur, c’est dans sa quête jusqu’au-boutiste d’une esthétique propre. L’art work de la pochette, le shooting, ces couples lascifs sur une plage du sud de la France alors que l’été est en train d’agoniser, la lumière, AFD de dos, au premier plan, comme le témoin muet de cette scène pour citer Gainsbourg. Tu passes de la pochette au disque et là, bam, tu tombes direct sous le charme de son chant parlé. Dans la plus pure tradition Vassiliu/Gainsbourg/Dashiell Hedayat. A la fois vintage et en même complètement moderne. Car en en fait le problème n’est pas se poser la question de la légitimité du phénomène revival. Le truc, c’est l’écriture, l’exigence mélodique, le soin apporté à la production, aux arrangements. Qui parmi les chanteurs français peut se targuer de respecter cette équation artistique ? Alexandre Chatelard, Alister dans son versant le plus rock, Cheval Blanc, moins connu mais prometteur, Bertrand Soulier. AFD, c’est un peu la paire de Converse venant se glisser dans un plan du Marie-Antoinette de Sofia Coppola.

LOL75 : Pendant que tu gloses, j’ai posté un commentaire sur le Myspace d’AFD. Cela dit en substance : « Je veux un ami parisien. Merci pour My Space Oddity. C’est vraiment beau, oui ».

Moi : Pour ma part, voilà ce que j’ai inscrit : « Perso, je suis irakien, nous pourrions échanger autour d’un risotto, mieux d’un Meursault ».

LOL75 : Enorme ! Putain, ton post est mieux que le mien, fait chier. Je suis trop sensible. Pour me consoler, bonus track Villepin.

Moi : Il suffit de peu pour rendre Dominique si rock.

LOL75 : Mais tu sais qu’AFD a fini par sampler le discours de Villepin à l’ONU dans Un monde meilleur parce que tous ces potes devaient lui dire à quel point il lui ressemblait.

Moi : La pop sera pompidolienne ou ne sera pas.

LOL75 : Les solos de gratte sont délicieusement kitsch. On dirait du Colosseum. Ça sonne très guitar hero.

Moi : Là encore, le mec est génial, on passe d’une flûte voluptueuse à un solo de guitare pour les stades ! Il ne manque plus que les doubles claviers façon Keith Emerson.

LOL75 : Hé, le 12 janvier,  on va voir AFD au Casino de Paris et on se casse quand Air se met à jouer ?

Moi : Ce serait pas mal, en effet. Cela dit, je trouverais légitime qu’AFD bénéficie de la notoriété de Air. Il pourrait se passer l’un de ces petits miracles qui, en changeant le cours d’un concert, bouleverse le cours d’une vie.

LOL75 : Putain, si l’artiste savait combien de lignes de chat nous lui avons consacré, il serait ému, je pense.

Et le dialogue se poursuivit de cette manière, entre érudition lapidaire et rires éclairs. Ainsi va la littérature quand elle s’entiche du rock. Elle se mue en une sorte de déflagration. Mais quand elle lorgne du côté de la pop, elle en devient précieuse, lettrée, orchestrée. Alors que La reproduction exhibait ses cordes fastueuses et ses lalala londoniens, je mettais à cet article la touche finale. Ce deuxième opus, accompli, beau dans le cadre précis de ses propres références, s’amusait à me séduire, sa volupté ambiguë, sa mélancolie légère, diaphane, en faisait une sorte de Forever Changes à la française. Tout cela, je le pensais, le partageais et l’écrivais pour en fixer le principe. Et pendant que les faux buzz s’emballaient, que les badauds facebookaient, il persistait en moi, ainsi qu’en cette mémoire vive globale, le souvenir d’une révélation/révolution mélodique portée par le très incarné Arnaud Fleurent-Didier.

Arnaud Fleurent-Didier, La Reproduction (Columbia)

arnaud-fleurent-didier-la-reproduction_310.jpg

http://www.youtube.com/watch?v=L-0wQgMyPw0

 


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