Yeasayer, l'Afrique c'est chic

par Adehoum Arbane  le 11.02.2010  dans la catégorie A new disque in town
 
La pop indie à tendance ethnique a semble t-il la cote. Il est étonnant de constater que cette orientation exotique nous vient avant tout de la jungle urbaine de New York et plus précisément de Brooklyn. La communauté musicale s’y complaît à bousculer les genres, à phagocyter ce bon vieux rock à grands coups de buzz et de postures fumeuses. Tout s’y télescope dans un vaste bordel, lupanar hétéroclite ô combien déconcertant. Et pourtant, après Vampire Weekend, clones arty de Johnny Clegg et de Yannick Noah, Yeasayer s’attèle à cette tache si risquée de la mixité. Et il faut bien le dire, le concept, au départ un brin inquiétant, se met très vite à fonctionner. Sur Odd Blood, deuxième opus du quatuor, on entend surtout d’étranges machineries futuristes, scandées par des rythmiques tribales, opérer une sorte de transe chamanique post moderne. La voix s’auto mutile dans une démarche sacrificielle qui séduit autant qu’elle a déconcerté quelques minutes auparavant (The Children). Au fond, ce qui retient l’attention du rock critic, ce ne sont pas tant les intentions sauvageonnes de nos rockeurs so yeah mais l’intemporalité qui se dégage de leur musique en effluves toxiques, actives sur les radios du Monde Occidental se frottant ainsi à une Afrique fantasmée.
Être hors du temps et tout à la fois dans son époque, voilà un rêve qui taquine bon nombre de musiciens ou d’artistes au sens large du terme. A une période où se faire taxer de revivaliste confine à l’insulte suprême, le moderne lui s’immunise pour longtemps contre le venin du mépris universel. Mieux encore, il gagne sa propre voie vers l’immortalité. Les Yeasayer seraient-ils en passe de réaliser cet audacieux pari ? Il n’est pas interdit d’y songer. Organique et synthétique, la pochette de Odd Blood nous montre cet homme d’un 21e siècle schizoïde, à la fois un et multiple, pelé comme une orange lysergique, ce touareg échappé d’un roman de science-fiction. Froideur métallique du visuel qui est un peu à l’image de la musique déclinée sur les dix titres. Et mise à part cette fausse note qu’est O.N.E., nous plongeant dans l’effroi suscité par l’écoute entière d’un album de George Michael à jeun et clean de toute drogue, le reste du disque se veut un savant dosage entre pop concise et expérimentation martiale. Ambling Alp, Madder Red et I Remember incarnent la formule éprouvée de l’écriture pop, tout en étant façonnées si étrangement que leurs mélodies continueront de danser dans votre tête leur sarabande païenne les soirs de pleine lune. Mais le morceau le plus singulier reste à n’en pas douter Mondegreen pour l’utilisation d’un saxophone énervé rappelant les meilleurs moments d’un King Crimson replié sur une formule plus rock, plus minimaliste. Là encore, on se laisse piéger par les sortilèges électroniques qui brouillent nos sens, nous emportant soudainement dans un maelström d’impressions charnelles, animales. Cette formule devient alors magique, bouleversant les certitudes que nous avions tenues pour acquises. On ne songe plus au sixties si essentielles, pas plus qu’aux codes établis depuis plus de quarante ans. Non. On rêve. A la suite bien entendu. Oh, pas à la carrière de Yeasayer mais à cet accident que va provoquer la sortie de Odd Blood. D’autres formations vont-elles s’engouffrer dans la brèche ? Ou bien lassées par cette tendance, iront-elles poser leurs valises sur des territoires moins balisés ? C’est un peu la leçon ou, tout du moins, la promesse de cette nouvelle décennie. Ne pas forcément refaire ce que l’on a patiemment construit mais faire et défaire, inlassablement. Ainsi notre quatre lascars vont sans doute abandonner sur le bord de la route du rock leurs percussions diaboliques pour étrenner je ne sais quels instruments nouveaux qui eux mêmes, par l’entre mise de l’inspiration, dicteront leurs lois. Mais attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit : je ne plébiscite pas cet art éphémère du jetable, cette création recyclable qui s’évaporerait aussitôt créée. Pas plus que je ne cautionne les buzz qui se dressent comme des bites pour s’écrouler après avoir tout balancé. C’est dans cette forme de création spontanée, pouvant parfois hélas échouer, que doit naître un esprit. Donnons à ces dix prochaines années un esprit. Définissons la décennie 2010 de façon puissante, orgasmique et singulière. Les Yeasayer s’y sont essayés. Avec une certaine classe, une folie certaine. Qui sera le prochain à emboîter le pas au nouveau rock ?
 
Yeasayer, Odd Blood (Secretly Canadian)
 
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