Le Rock pour les nuls part II, suite & faim

par Adehoum Arbane  le 12.01.2010  dans la catégorie Récits & affabulations
Les vacances de Noël. Enfin. Dans le silence saccadé du TGV qui m’emmène réveillonner en famille, mes yeux balayent toujours le même bouquin. Le Rock pour les nuls de mon excellent ami Nicolas Dupuy. La neige avait consciencieusement tapissé la morne campagne et dans le confort chaud et rassurant de ma première classe à tarif exclusif, je voyageais ailleurs. Entre l’année 1954, acte de naissance du rock, et les folles années soixante, poussant même jusqu’aux plus récentes décennies que j’avais feint d’ignorer. Je vagabondais sur la ligne du temps, les années défilaient à une telle vitesse que je m’obligeais à marquer des arrêts autant que faire se peut. 1958, Elvis met son pelvis au garde-à-vous. 1966, les Beatles flinguent la concurrence avec Revolver. 1972, Harvest s’impose comme la plus riche moisson de classiques dont Neil Young pouvait rêver. 1979, Joy Division finit la décennie en beauté et Ian Curtis sa vie de façon bien triste. 1981, Sonic Youth lance le très jeune indie rock. 1991, Nevermind explose aux oreilles du monde, donnant un nouvel éclairage au mot Nirvana. 2004, Brian Wilson grave pour l’éternité son chef-d’œuvre maudit, Smile, l’avenir semble alors sourire au rock. Le rock ce fringant vieillard, ce quinquagénaire ardent que j’observais depuis maintenant plus de vingt ans. Son sang battait à ce point dans les joues des filles et dans les veines des junkies qu’il était, malgré toutes ses mues, bien loin de la septicémie. Mieux encore, il s’était métamorphosé en un objet de curiosité universel et intemporel. Il avait résisté à tout. Aux guerres, à l’argent, au star-system, à la politisation des consciences, au charity business. Il ne s’était pas défilé devant le hip hop naissant, encore moins face à l’électro triomphante. Dernier titan d’une culture fondamentalement anglo-saxonne, il avait survécu. Fier, noble, la tête haute, à la fois respectueux de son passé et en même temps ouvert sur l’avenir. Mon train à grasse virée traçait la route à travers la campagne éteinte au fur et à mesure que la nuit se décidait à tomber le décor. Mon esprit ne quittait pas des lobes la grande aventure du rock qui avait façonné mon destin adolescent puis mon âge d’homme. Ce chapitre de l’histoire de l’Occident, parmi tant d’autres, m’avait marqué d’une empreinte indélébile qui avait commencé par la confrontation terrassante avec les mythes hendrixien et morrisonien pour se poursuivre en tonitruantes et éreintantes découvertes : Kinks, Stones, Beatles, Floyd, Traffic, Deep Purple avaient été les auxiliaires d’une construction personnelle, d’une lente et méthodique émancipation. Je me souviens d’un été entier où, dans mon walkman, défilait en boucle ce brûlot violent et délicieusement scabreux qu’était à mes yeux Deep Purple In Rock. La qualité approximative de la cassette audio rendait l’album mille fois plus brutal et mes parents de s’enquérir continuellement de ma santé mentale. Aujourd’hui, ils seraient étonnés de me voir fondre littéralement pour les velours et les ors de Smile de Brian Wilson. Sachez qu’il y a certainement un Rock pour les nuls. Mais en vérité, à l’arrivée, il y a surtout un rock pour chacun. Pour les émotions uniques que l’on peut ressentir à l’écoute d’un disque des Stooges, pour l’histoire que nous entretenons toute notre vie avec un classique, un groupe ou un rockeur. La nuit se détrempait sur les vitres à l’arrêt, constituant un interlude salvateur face à l’incessant défilé des voyageurs prenant place. Revenons à notre propos. Le rock est un tout, un bloc massif de sentiments, d’impressions et de délectation mais il demeure aussi et surtout un ensemble de souvenirs variés, une sorte de madeleine de Proust fabriquée par Phil Spector. Trois petits accords et autant de conjugaisons avec les citoyens du monde. Vaclav Havel eut son histoire du rock, entre fascination révolutionnaire pour le Velvet et amitiés moustachues avec le grand Zappa. Moi, je n’ai que des souvenirs rock. Par rock, je n’entends pas des souvenirs de folles bacchanales restées jusqu’à ce jour secrètes. Non, quoique. Je veux parler de souvenirs liés à des disques, des moments gravés dans ma mémoire et qui resurgissent à chaque nouvelle écoute comme ce jour surréaliste où, cloué au lit par la plus redoutable fièvre, je me décidais à écouter le premier opus de Magma que j’avais loué à la bibliothèque quelques jours avant. Je ruisselais littéralement, la grippe me donnait la sensation désagréable d’une compression systématique de tout mon corps. Il me semblait vivre alors dans une sorte de délire moite et usant, impression renforcée par la puissance ésotérique qui explosait à chaque seconde dans les dix morceaux de Kobaïa. Je songe à nouveau et avec quel délice à cet après-midi d’ennui banlieusard où je me livrais à ma passion soudaine pour les collages surréalistes tout en écoutant à fond les ballons Kick Out The Jam du MC5. Ma porte était volontairement entrouverte afin d’entretenir à l’envi l’exaspération parentale, quand une amie de ma sœur déboucha dans le couloir étroit. Je me rappelle encore sa chevelure dorée, sa moue naïve et l’horreur qui se lisait dans son regard alors que Rob Tyner postillonnait à qui mieux mieux des « Mother fucker » inquiétants. Je tirais un plaisir certain de voir que l’adolescent mal fagoté que j’étais pouvait effrayer une fille plus vieille que lui comme s’il s’était agit d’une petite fille perdue dans je ne sais quelle forêt arborée en barbelés. Que dire de mes années lycéennes où, alors que mes camarades de classe goûtaient à des vacances bien méritées, mon bus caracolant me rapprochait inexorablement d’un cours particulier de mathématique. Pour me réconforter à l’idée de ces tortures mentales prochaines, je m’étais confectionné une cassette avec en face A, Days Of Future Passed, et en face B In Search Of The Lost Chord des Moody Blues. Moment de féérie réel alors que je traversais le 9-1 et le 9-2, le mellotron dépassant largement le métro long qui serpentait non loin. Toutes ces petites tranches de vie tranchaient singulièrement avec le reste et le rock en avait rédigé les moindres détails dans un contrat à volupté illimitée paraphé par deux fois. Vous comprendrez pourquoi la lecture du Rock pour les nuls tient plus du retour aux sources d’une enfance geek que de la révélation permanente, bien que le récit nourri de Nicolas Dupuy me réserve encore aujourd’hui quelque belle surprise. Le rock est un ami cher, un guide, mon confesseur si particulier. Merde, le réveillon approchait et cet apérock avait aiguisé mes moindres appétits. Stop, siffla le train. Enfin, j’ai faim.


http://www.youtube.com/watch?v=M8gdfUvoPjM

http://www.youtube.com/watch?v=O8Ja4u8_RGQ

 

 

 

 


Commentaires

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mb

14.01.2010

" il y a surtout un rock pour chacun"

C'est très vrai ! Pour moi aussi la musique est la bande son de ma vie. (J'ai feuillété ce livre, il me parait très distrayant et bien fait, tout comme son blog.

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