Dennis Wilson, pop pacifique

par Adehoum Arbane  le 19.11.2009  dans la catégorie C'était mieux avant

« Quand j’écoute Love 2 de Air, j’ai l’étrange impression de visiter un studio d’enregistrement témoin » me disais-je en moi-même alors que la molle actualité musicale arrivait à peine à me tirer de ma torpeur automnale. La fin de l’année approchait, il y avait certes un sursaut, mais il n’était pas suffisant pour affoler les compteurs de mon radar pop astucieusement greffé au plus profond de mon cerveau. La pop est une religion pour nous autres fans des 60s. Son langage, ses codes avaient considérablement changé le visage de la musique occidentale, donnant à la jeunesse une légitimité nouvelle. En France, les anciens concédaient au Beatles l’importance de leur legs. Partout dans le monde, on célébrait leur génie et tout un bataillon de nouvelles formations défilait ainsi fièrement dans leur sillon. Cependant, la pop avait rédigé l’un de ses plus mémorables chapitres sur le champ d’une bataille fratricide entre la perfide Albion et le nouveau monde, entre les Beatles et les Beach Boys. Les Beach Boys. Et leur démiurge Brian Wilson. L’année 66 avait été celle des hostilités les plus ardentes. Quand les Fab Fours livraient au monde ébahi un coup de Revolver fatal, avec 13 balles meurtrières, les Garçons de la Plage (enfin surtout Brian) sortaient un Pet Sounds au nom grotesque mais aux mélodies mirifiques. Sgt Pepper’s débarquaient dans les bacs, Brian composait alors sa mini symphonie Good Vibration et enchantait toute la Côte Ouest. Pendant ce temps-là, Dennis Wilson, batteur du groupe, jouait les seconds rôles, plaçant de temps à autre sa voix sur une chanson à la manière d’un Ringo Starr débonnaire. Allez, on doit bien cela au batteur. Lui aussi mérite sa part de gloire, même temporaire. Les années 70 commencèrent sur le divorce des Scarabées : le monde sembla vaciller. Pour les Beach Boys, malgré quelques fulgurances comme Sunflower et Surf’s Up, les seventies furent un long tunnel de doute, d’excès et d’oubli. 1977. Le punk explose comme un crachat sur le bitume. En Angleterre comme aux Etats-Unis, une nouvelle génération prend le relais, réaffirmant un retour aux sources du rock jugé salvateur. L’intelligentsia maudit les formations progressives et la pop vire FM. Malgré les décibels débraillés, c’est le règne des Supertramp, Genesis et autres Fleetwood Mac. La même année, Dennis Wilson n’a pas complètement disparu. Pris dans les tourments de la cocaïne, de l’alcool et des femmes, lui aussi a des choses à dire. Et va livrer ses états d’âme dans un ambitieux premier album solo, Pacific Ocean Blue. Oh, Dennis opte pour une certaine humilité, son inspiration féconde lui a laissé la matière d’un double album. Il ne gardera que douze titres pour Pacific Ocean Blue. Le reste nourrira la track list de l’album suivant. L’homme est patient, besogneux, il convoque au chevet de son mal-être le faste d’une production typique de cette fin de décennie. Cuivres gras, fender rhodes carillonnant, synthés en ligne, piano omniprésent s’agrègent les uns aux autres et le résultat en est lumineux, mes amis, il s’en dégage une rare puissance, pas uniquement au sens rock du terme. Non. River Song et ses constructions savantes, opulentes, ses chœurs gospel et son pont mirifique, céleste, tout cela donne le ton. Dans les liner notes de l’époque, Dennis rédige un petit texte d’intention, sorte d’introduction aux morceaux : il pense que l’album va dérouter. Certes, il se rattache avec What’s Wrong à ce son Beach Boys, emblématique de la surf music, mais le reste s’évade dans un ailleurs californien, comme si cet océan pacifique à la fois chaud et mystérieux se voulait l’équivalent américain du Sea Song de Wyatt (Moonshine). Une comparaison pas si anodine que cela. Comme dans Rock Bottom, le rock de Dennis semble souvent toucher le fond. Même si certaines chansons choisissent la lumière comme le jouissif et funky Dreamer, d’autres optent naturellement pour la noirceur. Celle d’un homme qui a vécu l’adulation, la dope et l’adultère mais qui éprouve ce besoin viscéral de revenir à l’essentiel. Comme dans Time où il chante d’une voix plaintive et usée le foyer retrouvé au petit matin, après tant de nuits à dériver dans les tessons d’une destiné en pointillé. Ainsi est Pacific Ocean Blue, alternance subtile entre climats ombrageux et poisseux (la production floydienne période Wish You Were Here de Friday Night et de Thoughts Of You) et moments de grâce ineffable (Rainbows et End Of The Show). La musique y est presque abstraite, aqueuse, utérine. On ne veut plus quitter ce paysage intérieur malgré les orages électriques qui le traversent. Le timbre brumeux de Dennis est notre meilleur guide. Alors que les (vieux) garçons de la plage s’égarent, Dennis irradie. En douze titres, sans concept pompeux ni folie outrancière. Avec foi, humilité. Il incarne dans cet album l’esprit de la surf music, et quoi de plus naturel : Dennis était le seul vrai surfer du groupe. Autant le dire, mais le barbu au regard délavé qui nous fixe sur la pochette composa le meilleur album des Beach Boys, sans les Beach Boys (excepté Carl Wilson, chanteur et guitariste que l'on retrouve ici). Mieux encore, il posa sans le savoir les canons de la pop moderne des années 00. Rien à voir avec le lisse et faussement solaire Jack Johnson qui peut remballer sa guitare et ressortir sa planche : il rendra aux amateurs de musique un immense service. Non, Dennis Wilson a fait mieux : il a réuni synthés et banjo comme le fera Sufjan Stevens vingt plus tard. Dennis Wilson a tendu ce pont. Il peut en être fier, car son histoire est hélas à l’image de son premier et unique album. 1983. Alors qu’il navigue en plein trip sur son bateau au large de Marina Del Rey, ivre de coke et de Jack Daniel’s, Dennis plonge sans raison dans l’océan profond qui donna jadis son nom à son album et s’y noie tragiquement. C’est sans doute à cet instant que meurt véritablement le rêve hippie. Aspiré par les flots tièdes dans un abîme narcotique. Après ces trente sept minutes et quinze secondes de mélodies parfaites, faisons donc une minute de silence. Pour Dennis. « Who made my moonshine intoxicate me… Oooooh who made me cry like the end of a beautiful play ».
 
Dennis Wilson, Pacific Ocean Blue (Caribou)
 
dennis-wilson-pacific-ocean-blue.jpg


http://www.deezer.com/fr/album/1225802
 

 

 


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