Conjoncture et conjectures

par Adehoum Arbane  le 05.11.2009  dans la catégorie A new disque in town
Trois raisons de croire en l’année 2009 

2008 avait été un cru d’exception. De mémoire de rock critique on n’avait pas vu ça. Fleet Foxes et MGMT en tête. Le choc d’une révélation. Qu’en serait-il des douze prochains mois ? S’inscriraient-ils dans cette si prestigieuse lignée ? 2009, donc. Débuts mous, puis on croit sentir un frémissement, quelques productions se détachent aisément du lot, pour ainsi dire plutôt maigre. 40 ans avant, on songe aux classiques que l’Occident pop enfilait comme autant de perles d’une contre-culture sitôt née et déjà arrivée à maturité : Abbey Road, In The Court Of The Crimson King, Dark Star, Let It Bleed, Hot Rats, Soft Machine Volume Two, Bitches Brew, Tommy, Led Zep I et II, The Velvet Underground, Band Of Gypsys, Five Leaves Left, Crosby, Stills & Nash, Bayou Country, Green River, Willy And The Poor Boys, Space Oddity… Liste s’étirant à l’infini, dépassant largement le cadre conventionnel des tops ten. Imaginez un classement semblable aujourd’hui ! Fantasme ultime de geek nostalgique. Non, sans prétendre atteindre de tels sommets, cette fin d’année réservait quelque étonnante surprise. Au nombre de trois. En espérant que les dernières semaines, souvent convulsives, accoucheraient d’un furieux chef-d’œuvre.

Flaming Lips, kermesse embryonic. 

La dernière livraison des Lips vient de tomber. Comme un pavé dans la mare lysergique. Des éclaboussures de clavier partout. Ambiance païenne. Les sons crépitent, grésillent. Lo-fi. Les titres sont des poèmes épiques à eux tout seul : Aquarius Sabotage, Gemini Syringes, Sagittarius Silver Announcement, Silver Trembling Hands, Virgo Self-Esteem Broadcast. On croirait assister aux premiers balbutiements hagards de Amon Duül II à l’aube des seventies allemandes. Ouah. Génial. Un groupe qui ose ce lyrisme cryptique, le tout empaqueté dans un double album traversé de fulgurances électriques et de conversations téléphoniques, ne peut mériter que le respect. Respect Wayne. Revenons cependant à la musique qui goutte en instantanés drogués. Céleste, elle tutoie le jazz rock de ses aînés, Weather Report en tête. Avec peut-être la folie de Can période Ege Bamyasi. Elle a surtout le bon goût de s’étaler de façon bavarde, de parfois s’oublier le temps d’un interlude, d’une transition, voire même d’une discussion, ce qui lui permet du coup d’échapper à toute forme de classement, à tout velléité référentielle malgré les exemples pré cités. La matière sonore quant à elle se la joue à la fois compacte, brute, granuleuse et en même temps spatiale. Comme si l’auditeur assistait au lancement d’une nouvelle mission dans les locaux de la Nasa. Cet album est proprement dingue, complexe mais lisible, tendu comme un mauvais trip et radieux comme un Hiroshima de fleurs et d’étoiles explosant le soir du 14 juillet. Maelstrom. Voilà notre impression. Et elle est bonne, douce et violente à la fois : les Flaming Lips se rapprochent du Floyd mais avec cette démarche fondamentalement punk, celle des débuts. On est alors aspiré dans ce vortex ouvert sur un aujourd’hui révolu. Cette musique est le continuum espace/temps dont rêvait le docteur Emmett Brown, deux dimensions parallèles pour les oreilles, chacune reliée à un hémisphère du cerveau. Alors, oui, il y a des passages à vide, des moments quasi conceptuels qui en laisseront plus d’un sur le bord de la route, cela même iront écouter les atours imbéciles des apôtres de la molle convention. Pas totalement jazz, trop rock pour être psyché malgré la guitare très San Francisco Sound de Powerless, pas assez thématique pour être prog et les trois à la fois ; oui ce disque nous gifle agréablement et en bons chrétiens nous tendrons l’autre joue. Hâtivement comparé au « White album » des Beatles, le disque ne comportant que deux ou trois vraies chansons, il peut cependant se voir honorer de la mention « classique instantané et ceux qui hésitent ne sont que des trous du cul distendus ». Embryonic m’a sorti de cette torpeur cauchemardesque pour me plonger dans un voluptueux rêve éveillé. Ouais.

Local Natives, le local c’est de la balle.

Gorilla Manor, voilà bien un nom stupide. S’agit-il d’un zoo gothique ou de l’employé zélé, tout en muscles édifié, d’un obscur baron de la drogue ? On s’en tape comme de notre premier oxymore. Ces cinq musiciens nous viennent de Los Angeles, Californie, et livrent ici leur premier opus. Encore tout chaud. Nanti de 12 titres, Gorilla Manor n’est que flamboyance véhémente. Comme les visages de la pochette, explosant en floraisons sanglantes, les morceaux qui le composent sont autant de grenades harmoniques nous pétant à la tronche : nous sommes maculés de couleurs chaudes, solaires comme dans Sun Hands. Les voix s’y entremêlent en un coït étrange, tantôt doucereux, tantôt braillard, les guitares empruntent la même voix, si je puis dire, entre arpèges pop et vociférations rock. D’une égale tenue les unes par rapport aux autres chansons, quelques unes s’arrachent à l’excellence du peloton : elles se nomment Sun Hands donc, Airplanes, Camera Talk, Stranger Things, Warning Sign. Qu’elles se coiffent de violons lyriques, de piano pop ou de chœurs qui savent s’enchevêtrer comme leurs homologues des Fleet Foxes, celles-ci nous hanteront durablement :  à ce moment précis, je crois utile de rappeler qu’il s’agit là de la marque des classiques. Plus lisible que Arcade Fire (même passion partagée pour les Talking Heads), Local Natives s’est offert une prod’ à la mesure de ses ambitions musicales. Sur son myspace, le groupe qualifie sa musique de Jungle et je crois comprendre ce qu’il veut dire par là : on y perçoit ce foisonnement sonore, cette exubérance et cette proximité (les premières notes de Airplanes). Et puis il y a la voix de Taylor Rice, taillée dans le feutre. Il n’y a pas enluminure plus délicate que ce timbre de caramel flûté, je sais la métaphore est cryptée mais écoutez donc et vous verrez ce que je veux dire par là. Epique et dense, l’album reste singulier, métissé, non pas exotique au sens africain du terme, mais à la croisée des idées, pétri d’universalité autarcique (moi et les métaphores oxymoriques). Le Guardian les résume ainsi : « They're the Weekend Foxes, A Fleet of Arcade Vampires On Fire ».

Amazing Baby, Rewild ou la méprise de risque.

Qui est prématurément comparé à MGMT peut aussitôt finir dans les caniveaux humides du ridicule avant d’être évacué dans les égouts de l’oubli. Sauf que là, il n’en est rien. Peut-être parce que Amazing Baby n’a qu’un rapport lointain avec MGMT, tout juste une parenté géographique. Nous pouvons ainsi écouter leur premier album avec calme et décontraction. Car Rewild vaut son pesant de buvards d’acide. Ces hippies immondes façon Devendra Banhart, un chouette nom je trouve, je disais donc ces beatnicks grotesques ont réussi à pondre un authentique album labellisé 70s cosmiques. Rien à voir avec une certaine matière plastique, mais force est de constater que ça plane pour eux et sévère. Pitchfork leur a pourtant affublé la note de 6.1/10 : putain c’est quoi cette manie de noter à la décimale près, le célèbre site serait-il devenu le Parker du rock (le bonhomme faisant de même avec le vin, pfff) ? Sans prétendre bouleverser le rock de ses 40 dernières années (qui le pourrait réellement), Rewild propose 11 morceaux épiques en forme d’épopées planantes, baroques, parfois matinées de sonorités western spaghetti. On y trouve tous les effets fondateurs du genre : guitare fuzz, nappes de claviers, phasing, orientalisme béat. Ok, la chose est (déjà) entendue. Mais on a plaisir à la réécouter. On trouve ainsi parmi les odyssées astrales de vraies chansons assez jouissives comme Kankra et son final tout en chœurs ou Headdress et son entêtant riff enrobé de suaves voix féminines. Et puis il y a cette pochette aussi atrocement splendide que les tableaux du Moyen-Âge flamand, comme si elle avait été imaginée par l’épouse de Jérôme Bosch, alors en plein trip à l’acide. C’est pour toutes ces fumeuses raisons que je voulais décerner à Amazing Baby un vibrant satisfecit. Ecoutez Rewild au casque, à la cool, façon naturisme d’intérieur et abandonnez-vous à l’extase que vous aurez préalablement négociée avec votre dealer.

Épilogue

Comme vous le voyez, ces dernières semaines vivent une accélération, on découvre, on écoute, on chronique, on s’ébahit, on change d’avis, on se reprend, on efface tout, on réécrit, on statue malgré tout. Car la musique est une louable intention. Malgré tout ces esthètes auto proclamés qui souvent sont les premiers à conspuer les œuvres que jadis ils portèrent aux nues ou s'affichent comme les adorateurs dévoués du conformisme le plus radical (formules ô formules). Ce n’est pas mon cas. Voilà, telles sont mes recommandations en matière de bon goût musical et autre indépendantisme rock. Qu’elles perdurent à jamais dans le cœur de tous les défenseurs de la sainte trinité Pop/Rock/Défonce.

PS. Je tiens à préciser que les écarts de longueur entre les différentes chroniques répondent à un argument imparable. Les deux derniers groupes n’ont pas sorti, eux, un plantureux double Lp.
 


Commentaires

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mb

23.11.2009

Je n'ai pas encore lu l'article, mais je commente pour vous signalé un petit problemme : l'article est trop large et donc difficile à visionner (et lire donc)... d'ailleurs, j'ai cru que la page ne se charger pas, mais en faite il faut décendre la page pour le trouver.

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