Xu Xu Fang, Viper au sein #8

par Adehoum Arbane  le 22.04.2008  dans la catégorie Récits & affabulations
Xu Xu Fang, Viper au sein #8

Je souhaiterais rassurer le lecteur car à ce moment précis du récit, le dealer semblait avoir quitté sa réserve habituelle qui est la marque des dandies asiatiques affables, grands pourvoyeurs de drogues pour le monde affamé de rêves qui le sortent du néant de son cauchemar consumériste. Le lendemain, à la première heure, je rendais la limousine au chicano en négociant ma pauvre vie en échange d’un article à la gloire du potentat chinois. Dette dont je ne m’acquitte aujourd’hui que partiellement, priant les augures que le bonhomme ne m’expédie quelque tueur à la sauce saté pour me réduire au seul silence d’une mort lente et atrocement douloureuse. Mais revenons à la Californie, mon hôtel de grand standing et ma luxueuse villégiature. Je reprenais goût à la vie, normale et rationnelle, de celle qui s’écoule paisiblement sans le moindre remous sur les eaux calmes de la Platitude Cellophanée. Mon organisme qui avait cessé de puiser sur ses réserves reprenait des forces, ma silhouette retrouvant élan et vaillance sous les rebonds de chair de l’appétit humain. J’étais sommes toutes en convalescence avec autorisation de céder aux tentations de ces kilomètres de buffets qui attirent les touristes bourdonnants, énorme monticule de merdes patiemment agrémentées de nappages, crémeux scintillements et camaïeux délicieusement écœurants qui flattent aussitôt le regard. Après un copieux déjeuner et quelques mojitos rafraîchissants, je fis une escale par la piscine où des naïades entièrement plastiquées explosaient en exposant leurs généreux atouts, moi, je contemplais le désolant spectacle d’une Amérique siliconée aux vallées de chairs exquises. Une soubrette aussi alerte qu’un chewing-gum m’apporta un téléphone sans fil : c’était Bobby ! Bonheur suprême, j’étais convié demain à une partie de pêche en haute mer sur le yacht d’un ami scandinave.

Joris Rimmon me tendit une main nonchalante alors que l’autre massait voluptueusement un visage épaissi par l’alcool et entièrement dévoré par une barbe de patriarche. Le mec vivait confortablement, à en juger par sa bedaine, mais son sourire de charmeur de serpent trahissait une forme de désinvolture propre aux êtres exceptionnels. La mer était invariablement bleue et, chose étrange, semblait ne faire qu’un avec le ciel. Quelques mouettes fendaient l’air laissant derrière elles des sillons de la même couleur. Bleu. Tout était si intense que mes yeux me donnaient l’impression de baigner dans un aquarium. Le bateau quitta le port en égrenant derrière lui quelques « teuf-teuf » faussement spontanés. Une fois au large, Joris Rimmon passa à la vitesse supérieure. Il y avait avec nous Johnny Yen, encore et toujours là, aussi raide et inflexible que l'armée de Terre Cuite de Lintong, tous les membres de Xu Xu Fang et quelques jeunes femmes inutiles, donc totalement indispensables à l’équilibre de cette merveilleuse équipée.

- Avez-vous déjà pêché l’espadon ?, me lança fièrement Joris, clope au bec.

Non, indécrottable connard ne lui répondis-je pas avec la lâcheté qui caractérise tout pique-assiette qui jamais ne se respecte et me contentai d’une vague moue négative.

- Bon, nous allons remédier à cela. En Amérique, on aime l’espadon cuit au barbecue.

J’écoutais avec un respect de façade et un mépris intérieur l’explication quasi anthropologique de Joris sur l’évolution des mœurs culinaires des Américains depuis la déclaration d’indépendance jusqu’à la morne investiture du président Bush junior, ces enfoirés bouffeurs de steaks géants me laissaient de marbre, moi je rêvais aux collines légèrement pentues de la Bourgogne, à la terre, au verre qui recueille la sève de vigne, à toutes ces choses dont l’élégant ordonnancement constituait le quotidien du Français. Cependant, je dois l’avouer, la voix de Joris m’enchantait, je ne parle pas d’une franche et virile satisfaction, mais d’un enchantement, d’une fascination, non je ne virais pas ma cuti mais tombais progressivement sous le charme du sémillant millionnaire.

À suivre...

 

 

 

 


Commentaires

Il n'y pas de commentaires

Envoyez un commentaire


Top