Carnets de déroute-Chapitre 1 : Le secret d'Iggy

par Adehoum Arbane  le 16.10.2007  dans la catégorie Récits & affabulations
Chapitre 1, troisième partie



Je progresse avec la grâce molle du félin, sautant sur la scène, puis je m’éclipse derrière l’immense rideau parme dont les lourdes dorures en bourdons tressés balayent la poussière. Je suis dans les back stages, direction la loge du groupe. Le manager pousse la porte qui masque ce que mon cerveau sobre pas encore embrumé par les vapeurs de l’alcool n’aurait pas pu imaginer. Mais laissez-moi planter le décor : imaginez une pièce enfumée, le groupe donc au grand complet, des groupies dodelinant du pétard, une table avec tout un amoncellement de verres à moitié vides, de bouteilles laissant infuser des mégots à peine éteints, des lumières crépitant dans un dernier feu (après une telle débauche d’électricité musicale, rien de bien étonnant) ; enfin je croyais. Iggy semble causer avec un mec aussi bien gaulé que lui, le corps légèrement dévoré par l’ombre qui s’étale et déborde du fond de la pièce ; le bonhomme se cache. J’entends un « Come brother, come » lâché par le maître en personne et là, stupéfaction ! Je tiens à préciser à ce moment précis qu’aucune substance illicite n’entravait le bon fonctionnement de mon jugement. Hilare, Iggy se tourne vers moi au bras de… De... Son frère jumeau… De son sosie… Merde, il y avait deux Iggy dans la loge, mon cerveau bondit dans les cavités de mon crâne façon syndrome du bébé secoué, je n’en crois ni mes yeux, ni mes oreilles, ni ma bouche qui refuse alors de se fermer, ni les mots qui ne veulent plus sortir, ni mes espoirs, ni mes rêves encore moins mes fantasmes les plus fous, même celui de ma voisine se faisant épiler la chatte avec les dents par une ancienne nageuse est-allemande ; aucune comparaison n’était possible, voire envisageable. Iggy se lança alors dans une explication qui aurait à elle seule constitué la trame narrative d’une chanson mais non c’était la vérité, sainte mère de Dieu, la pure vérité éternelle, intangible : le leader des Stooges s’était tout bonnement fait cloner, histoire de mieux gérer le stress des tournées, des sessions d’enregistrement, des conférences de presse, et surtout, surtout, pouvoir se la couler douce pendant que l’autre pantin trimait. Son plus beau souvenir, digne d’un roman de gare lu à la sauvette et jeté dans le caniveau, celui d’une partie de jambes en l’air avec Iggy 1 rivé au cul d’une groupie et Iggy 2 se faisant aspirer le nœud en un « chlop » sonore qui devait longtemps hanter ma mémoire. Iggy me demanda malgré tout de ne pas révéler son secret, ce que je promis en croisant les deux orteils de journaliste conscient du scoop qu’il détenait, fragile rock star qu’il allait pouvoir  manipuler comme une vulgaire poupée désarticulée, putain, étais-je capable d’une telle infamie, d’une telle trahison… ????...  Oui, sans problème. Quelques semaines plus tard, ayant dispersé aux quatre vents cette rutilante révélation, la rumeur ayant alors enflé comme un bubon pour prendre des proportions planétaires, je découvrais dans le New York Times une longue interview des deux Iggy, ravis de l’énorme coup publicitaire dont ils venaient bien involontairement de profiter, l’album ayant quadruplé ses ventes en quelques jours seulement. Un film était déjà en préparation et Iggy 2 annonçait quant à lui une reformation des Doors avec les membres officiels, l’iguane n’ayant jamais caché à l’époque son admiration pour le roi lézard et vice-versa ; les deux leaders partageaient une passion nourrie pour Sinatra en plus du même label, les disques Elektra. La presse criait au génie, tout ce petit monde s’emballait et moi je me retrouvais seul comme un con, avec le souvenir un peu fou d’une soirée en live, je précise bien en live et pas « de live », un moment assez unique dans une vie de reporter rock, une sorte d’apothéose baroque, quelque chose comme un accomplissement. Fun is rising.

A suivre...


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