That’s not all Folks !

par Adehoum Arbane  le 05.09.2007  dans la catégorie A new disque in town
Le rock peut une fois de plus s’enorgueillir d’avoir accouché, dans les affres moites de la conception immaculée, d’un nouveau genre : le Folks. Ici le  « s » est un élément essentiel, il ne s’agit nullement d’une coquille, ni d’une quelconque fioriture, pustule typographique ou autre boursouflure stylistique. Chez Folks, vous trouverez en somme ce qu’une auberge espagnole offre de plus fou, de plus hétéroclite, du folk donc, du rock certes mais également de la pop. Le tout avec un art de la concision qui vous laisse ébahi, hébété, touché.

En plongeant tête la première et oreilles déployées comme les voiles d’un navire dans ces quatre perles parfaitement composées et produites, de nombreuses impressions m’envahissent, un peu en vrac, des sentiments confus, des esquisses, des visions, de longs flashs dorés. À l’écoute de Seven Ways, il est tout d’abord bien difficile de citer une ou plusieurs références, ce qui, à mon sens, est la marque d’un groupe ayant atteint une totale maturité, chose rare lorsqu’il s’agit de musiciens non signés et ne proposant que quatre titres.  On pourrait percevoir la mélancolie diffuse d’un Elliott Smith, mais la voix nous oriente sur une autre piste. Androgyne et blessée, celle-ci devient à elle seule un instrument modulant une trame féerique, véhicule sensoriel d’une incantation chamanique. Il y avait la voix chaude et épaisse de Nick Drake, il faut désormais compter avec les inflexions voluptueuses de François Gauer. Autre ligne de force d’une musique subtilement intemporelle, le face à face en forme de joute élégante entre guitares acoustiques et électriques, tissant d’un côté des paysages folk en dentelle et de l’autre poudrant l’ensemble d’assauts quasi free, tout en breaks, en cassures comme dans le morceau éponyme. N’omettons pas de saluer une section rythmique élastique qui enrobe chaque morceau, arrivant ainsi à instaurer un climat, une tension palpable. Dernière conviction qui emporte tout sur son passage et avec, bien des formations officielles et « reconnues », ce que nos amis musiciens anglais à barbe et à six cordes et autres journalistes à petits carnets remplis de commentaires très sérieux et de sentences définitives appellent le songwriting, cet art de la mélodie évidente comme un soleil s’étirant à l’aube. Et là, je devais toucher à la révélation mystique en découvrant la matière noble de ces quatre morceaux qui aujourd’hui me suivent comme mon ombre, avec mention « ne pouvait pas mieux faire » pour I’ve Been Near The Sun qui synthétise parfaitement la science prolifique de Folks : deux guitares, une voix, quelque chose comme une compo. Singularité totale d’un groupe passionnant s’exprimant jusque dans le logotype, tout en arabesques légèrement grignotées, usées comme un vieux blason, une antique partition, sur fond sépia clair comme pour suggérer cette intemporalité même.
Voilà pour la chronique…

J’ai rencontré les Folks un soir de, enfin, oui, de débauche journalistique, j’avais alors décidé de repousser les frontières de la littérature de terrain passée à la moulinette de l’art de vivre gonzo, philosophie psychotique s’il en est mais qui a le mérite de conférer à chaque acte de révolte stupide une dimension hautement et sérieusement intellectuelle, une éternelle aura de respectabilité. Et quitte à pousser jusqu’au bout cette logique fanfaronne, je décidais d’en immortaliser tous les traits, les moindres détails que je vais vous narrer aujourd’hui. Comme le veut la coutume, la violence fait partie intégrante de l’imaginaire rock, les terrains vagues sont ainsi le théâtre d’affrontements entre bandes rivales, et nous avions convenus les Folks et moi de ne pas déroger à cette sacro-sainte règle. Nous cherchions querelle afin de restaurer l’honneur mis à mal par la télé réalité, le mauvais goût vicieux des directeurs artistiques corrompus dans leur Babel imprenable, des programmateurs radio qui de leurs consoles robotiques propagent leurs ravages subliminaux ; l’industrie du disque, tel le Léviathan, avait fait de la scène musicale française un chant de ruines, un espace dévasté, les Sodome et Gomorrhe de la molle pensée universale. Nous devions réagir, frapper fort. Mais encore fallait-il trouver les futures victimes consentantes, car l’éthylisme aidant, notre détermination était devenue infaillible et notre appétit de castagne inassouvi. Les poings en poches, nous dénichâmes dans une obscure banlieue oubliée un rade infâme que fréquentait une sympathique formation à guitare hispano-folk et à chevelures peroxydées, les Gypsy Lords qui, comme me l’avait soufflé mon indic, ne décollaient que très rarement du zinc, sauf pour empoigner les six cordes un jour de foire au jambon, espagnol de surcroît. J’étais fasciné par ces images de duels, l’instant grave où le gentilhomme qui réclamait justice venait souffleter l’impudent en question, je me rappelais avec délice ces forêts embrumées par les petits matins blêmes comme le masque marmoréen de la mort, le choix des armes, la boîte en acajou dont le velours pourpre enrobait alors deux superbes pistolets, puis ces poses statuaires dans le silence aux longs coassements, puis le premier coup, puis le deuxième, puis le corps s’effondrant, poussière et sang mêlés, puis la silhouette fantomatique prenant le chemin de l’éternité, digne, raide, comme dans le tableau d’Arnold Boecklin. J’étais déterminé à en reproduire les moindres codes. Nous entrâmes dans le café peuplé par une faune en décrépitude, tapisserie décollée de la Misère Humaine ainsi dépeinte, je tenais l’unique œuvre des Gypsy Lords que je brisai sur mes genoux avec un sourire de mépris confortablement esquissé comme si j’avais répété la scène des heures et des heures, ce qui était bien sûr le cas. Les latins sont connus pour avoir le sang chaud et le leader, dans un tonnerre de pensées contradictoires, me lança l’un de ces regards qui vous disent « Je te laisse le choix des armes ». Nous optâmes alors très logiquement pour les guitares, puis nous primes place sur le champ de bataille, un terrain vague bordant vaguement le café, ceinturé d’un côté par une petite route pavillonnaire et de l’autre par la voie ferrée. Le soleil était haut dans le ciel et se tenait à l’ordonnée de l’horizon en un sens de la symétrie quasi maniaque, comme pour arbitrer la rencontre. Rien ne bougeait, ni l’espace ni les nuages comme figés par la peur, tout était sourd, blanc, interminable, les esprits exécutant intérieurement une dernière prière, la foi vous donne parfois une force bien au-delà de toute considération spirituelle ; le calme avant la tempête, le temps arrêté comme dans le serment des Horaces. Un claquement de castagnettes sonna la charge et les corps se mirent en mouvement dans un chaos de gestes et de cris stylisés, un premier travelling avant vint fixer le choc brutal des premières lignes, guitares contre guitares, en un duel homérique incroyable de force dramatique. Nous étions à des années lumières de la mythologie « Laisse béton » et des blousons noirs, humeur à cran d’arrêt et boots noires flashantes, nous revivions plutôt l’enlèvement des Sabines sans l’heureux dénouement propre à la légende où Romains et Sabins se réconciliaient grâce à la noblesse et au courage de leurs femmes. Il n’y avait pas d’issue favorable possible ni de reddition envisageable me disais-je en moi-même alors que j’écrasais mon Epiphone sur le crâne grassement bouclé d’un ennemi troublé par ma soudaine réflexion intérieure. Enhardis par l’envie d’en découdre, les frisés nous envoyèrent leur cavalerie, peloton motorisé de  pétrolettes grossièrement trafiquées, pétaradant leur grotesque contestation et l’impensable arriva. Dans un moment solennel, comme si les augures étaient avec nous, le ciel s’ouvrit et des anges s’engouffrèrent alors dans la brèche nuageuse. Tout ce que le paradis abritait de figures rock, éternelles et héroïques, nous vint en aide dans un déferlement furieux de décibels, diptyque furieux d’une apocalypse peinte par Jérôme Bosch et retouchée par les Monty Pythons. Il y avait sous l’oriflamme d’un bleu vif et cinglant qui drapait la voûte céleste des milliers de sous-marins jaunes pilotés par autant de sergents Peppers kamikazes, des guitares héros guidés par les reines de l’age de pierre propulsant des bombes soniques à travers l’atmosphère en feu. Nous avions bien malgré nous convoqué les esprits du rock, ils étaient tous là : Jimi Hendrix, sa Fender attachée comme un lance-flamme, crachait des notes incendiaires sur l’ennemi dans une tourmente d’électricité libérée alors que Kurt Cobain, pull-over Freddy Kruger en guise d’étendard, vociférait des postillons acides, aussi dévastateurs que ces chaudrons de poix que l’on jetait, au Moyen-Âge, sur l’assaillant. Les éléments s’étaient déchaînés et les meilleurs, je revois encore aujourd’hui très distinctement Janis Joplin surgir dans son aube blanche brodée de motifs hippie, hurlant des refrains salvateurs dont l’onde de choc, incroyablement gutturale, balayaient tout sur son passage. Les Folks n’étaient pas en reste, ils livraient bataille, aidée par la Divine Providence jusqu’à cette apothéose glorieuse où walkyries et chevaliers teutoniques déversèrent sur nos hidalgos dépassés des flots grouillants de choucroute rock, bras et jambes saucissonnées disparaissant, comme avalés par l’épaisse mixture fumante. Un mouvement de troupes lancé par les Ducs de la stratosphère porta le coup fatal. Le rock, fier et indépendant, avait vaincu la médiocrité franchouillarde, la Variété venait de tomber ventre à terre, rendant le trop peu qui lui servait d’âme. Les cors sonnèrent la retraite et les anges du ciel ouvert chantèrent la victoire dans un alléluia amplifié de saturations quintessencielles. Il avait suffi de quatre titres, de quatre types et d’un journaliste pour triompher du Sombre Moloch Variété.
 
Folks, Seven Ways EP (Wild Palms Music)
 
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