Les Shins pour la première fois en France

par Adehoum Arbane  le 23.05.2007  dans la catégorie Interviews & reportages de Shebam

L’Amérique serait-elle plus tasse de thé que coca-burger ?
La pop à son paroxysme cataclysmique.

Un soir de désespérance solitaire, dans l’obscurité feutrée d’une salle de cinéma, je me retrouve planté là dans le fond de mon siège, à côté d’un pote beatnik à chapeau melon. En nerds expérimentés, habitués à l’isolement quasi masturbatoire des soirées entre mecs, nous nous attendons blasés à voir le énième navet estampillé Oncle Sam, les pop-corn volent dans l’espace, on rit, on se raconte les dernières nouvelles du monde qui lui semble sombrer paisiblement dans l’extase atroce d’une mort annoncée, en Irak la situation s’enlise les GI Georges se font descendre comme des lapins ; la saison de la chasse au con est encore ouverte.

Le rideau tombe, représentation évidente de la pénombre avant que l’entertainment n’emplisse la salle quasi acquise à sa molle cause, un faisceau marmoréen aux scriiitttch presque silencieux indique que la fiction commence, quelques mâchoires claquent et broient du pop-corn symbole d’une Amérique pré consommée. Garden State, le générique crépite. Le début est sympa mais institutionnellement pas indispensable quoique Nathalie Portman mérite le détour, mon regard toise ses formes juvéniles en écoutant avec délectation cet accent mâchouillé avec grâce, à côté de moi, mon pote à chapeau réalise un fantasme en live. Passons sur l’introduction laborieuse pour en arriver au moment clé, celui qui justifie à lui seul la raison d’être de ce papier, la scène où très précisément le héros croise la route de Nathalie qui, dans le périmètre aseptisé d’une salle d’attente, compte les minutes en écoutant un morceau en boucle. Les deux tourtereaux se dévisagent, la douce égérie Indie se lançant alors dans une prétentieuse explication existentielle du destin, de ces petites choses qui bouleversent l’ordre établi du Temps et là, ô révélation pour moi, la salle découvre l’objet en question, un titre des Shins : New Slang. Nathalie lâche alors une bombe « tu verras, cette chanson va changer ta vie comme elle a changé la mienne… », ou truc dans le genre. Cette anecdote me paraît, à la relecture des événements, un peu vaine, ayant découvert les Shins bien avant la sortie du film mais bon, je retrouve la mélodie calme et précieuse composée par James Mercer, leader lunaire des Tibias. Mes oreilles goûtent à cet instant, A moment in time comme disent les Anglais, et là, stop, pas la peine de dérouler le reste du film qui franchement est aussi pertinent q’une envie de pisser le matin au réveil, je me prépare alors à vous parler de ce dimanche 1er avril 2007, jour béni des Dieux Pop puisque je suis allé voir les Shins pour la toute première fois en concert et à Paris, excusez du peu.

« Faute avouée à moitié pardonnée » me disait le curé de ma paroisse estivale lorsqu’il me confessait préférer les jeunes et fringants garçonnets adeptes de la lutte gréco-romaine, ce à quoi je répondis par un rire sardonique suivi de « pauvre merde », « impuissant », « inconscient pédéraste », revenons-en à ma faute : je dois bien vous informer de ma vive déception à la première écoute du troisième album des Shins, Wincing The Night Away, quoique les 5 premiers morceaux sont de pures merveilles. L’objet de cette déception tient plus à la production, la marque sonore du LP qu’aux morceaux eux-mêmes qui continuent de bénéficier du talent insolent de James Mercer. Non, ce sont ces sonorités métalliques disséminées dans l’album, je ne parle de Death Metal au sens grotesque du terme, mais bien de ce putain de son renvoyant aux plus sombres heures de la pop eighties que j’abhorre par tous les pores, comme si nous étions en train d’écouter du REM, bouh, j’en ai un long frisson dans le dos. C’est là que le passage à la scène pouvait s’avérer salutaire. Il en fut ainsi ce dimanche soir. Je dois d’ailleurs souligner la joie ineffable, le bonheur snob d’aller voir un concert un dimanche, ce qui vous préserve généralement d’un téléfilm lénifiant allant de paire avec un repas du type « ce soir, on mange les restes hein ? », image flagrante effarante de nos vies occidentales totalement vicieuses et merdiques. Enfin…

Dimanche soir, 19h00, l’Elysée Montmartre se remplit lentement puis d’un coup la salle est bondée, menaçant d’exploser comme un soutif, des commandos de groupies terroristes hurlant leurs versets amoureux en attendant le set, évocation lyrique d’une hypothétique prise d’otage que nous ne vivrons jamais, quoique, je découvrirais 30 lignes plus bas que les preneurs d’otage en question s’appelaient les Shins ; le syndrome de Stockholm je crois. Je dois retrouver le chanteur de charme Charles-Baptiste, tiens il est planté là devant moi, tout sourire, accompagné par deux jeunes fans éperdues dont l’une se trouve être sa pétillante fiancée (prononcez à l’anglaise s’il vous plaît). Deux poignées de mains puis quatre échanges de bises plus tard, nous discutons de concert, mdr (permettez moi de rire de mes propres traits d’esprits), la perspective de succomber aux mélodies alambiquées du célèbre quator nous enchante, je crois que ce dernier mot est très juste et qu’il qualifie parfaitement la musique des Shins. Réfléchissez un moment, ces mecs ont dans les 30 ans et leurs comptines si finement ciselées semblent sortir tout droit du cerveau d’un ado attardé, américain de surcroît ce qui ajoute au décalage de cette brillante théorie. Ce n’est pas tout à fait l’insouciance californienne des Beach Boys, rangez vos planches de surf les amis, je pense plutôt à un cocktail au shaker avec deux doigts de La Boum, trois doses du Péril Jeune le tout agrémenté d’un zeste d’À Nous Les Petites Anglaises et je crois que l’on peut se faire une idée précise de la musique des Shins. Ajoutons à ces références plutôt navrantes, excepté le Péril Jeune, l’opacité de paroles assez intellectuelles qui dépassent l’entendement, surtout le mien, mais je m’efforce de plisser mes yeux, froncer les sourcils et de caresser mon menton lorsque j’écoute les Shins en société, avec un air tantôt dubitatif tantôt psychanalytique. Et là, le silence s’installe, on chuchote dans mon dos, sans aucun doute des témoignages d’admiration pour l’étalage consciencieusement professionnel de ma science du rock.

La première partie commence, les sympathiques Viva Voce que j’avais déjà écoutés sur galette investissent la scène. Ce duo de frère et sœur se met à jammer longuement alors que le mec, rivé à sa batterie, frappant comme un soudard, me rappelle une version hippie de Bjon Borg, bandeau cerclant son crâne, le bonhomme se bidonne alors que sa sœur assez jolie gratte sur ses cordes des solos définitivement west coast. Mineur mais plaisant, le son étant proprement énorme, puissamment rock’n’roll, critère de qualité faisant souvent défaut aux groupes de premières parties, mais ce soir nous sommes gâtés, il faut bien dire que l’on n’assiste pas tous les dimanches à un concert des Shins. D’ailleurs, les filles sont en baskets, les garçons regardent les filles qui sont en baskets et ces dernières s’impatientent car, dans quelques minutes, elles entreront dans la danse, balanceront leurs pointures dans une forme d’extase lâchée en pâture à la salle. Pour le moment, elles battent la mesure sur les hymnes hippies des Viva Voce, ça danse, ça démultiplie les minutes comme si l’espace s’était dilaté sous l’effet d’une intense combustion, il faut bien dire que l’ambiance chauffe, monte en puissance et sans avoir à se faire prier, non pas que les Viva Voce ne fassent pas le job, bien au contraire ; le constat est simple, on attend les Shins, un peu comme les messies de la nouvelle vague pop. Avant le début du second set, le vrai, l’unique, je ressasse en mois plus de quarante ans de pop culture avec, je dois bien l’avouer, un oubli flagrant, consenti et peu coupable, celui des eighties qui me paraissent aussi fondamentales aujourd’hui que le concours de l’Eurovision ou l’élection de miss France, comme si l’Histoire de la Muzak ne pouvait faire l’impasse sur cette décennie glaciaire, en tout cas, je m’offre cette liberté sans pour autant renier le revival garage psyché, avec des groupes comme Plasticland ou même la tentative délicieuse d’XTC de revisiter les sixties à travers leur formation pastiche, les Dukes Of Stratosphear. Qui peut m’avouer à cette minute sans partir dans un incroyable et coupable fou rire que U2 fut un groupe important, essentiel à la rock music, enfin merde, ça c’est pas possible, il va falloir rouvrir les bréviaires du Rock pour rétablir l’échelle des valeurs. Bon, le coup de sang est passé comme une éjaculation précoce, je me remets tout doucement de mes émotions qui furent durement éprouvées car au moment où ce constat me traversait l’esprit l’assistance fut tout bonnement médusée de voir un furibard braillard scribouillard gesticuler comme un dément en pensant plus au haut que son cul ; notez, si être rock c’est se donner en spectacle, je peux vous dire que dans la salle suspendue à mes lèvres de mime rock personne ne hurla « Remboursez ! ».

Retour à la réalité, Charles-Baptiste et moi soliloquons en rêvant à une possible ouverture sur Sleeping Lessons, le premier morceau de l’album, lente montée de trip en technicolor et là ô surprise, le combo débarque, les applaudissements fusent autant que les cris, hystérie pure collective, rappelez-vous les jeunes groupies, puis la carillonnante intro de ces leçons façon Shins, putain, nous sommes littéralement en transe, plus personne n’échange de regard, chacun fixe la scène alors que le morceau s’installe pour exploser enfin dans un déferlement d’électricité glapissante auquel le groupe ne nous avez jamais habitué ; c’est bon. Puis, dans une ferveur irréelle la foule se repasse les quatre premiers singles de Wincing The Night Away, dans l’ordre, comme ça, vision du bonheur des fans acquis à leur cause, moi, j’attends peinard les vieux morceaux, plus sixties à mon goût et mon impatience est très vite récompensée, la bande à James Mercer s’employant alors à rejouer, avec une conscience professionnelle qui frise la posture robotique, les meilleurs moments de Oh, Inverted World et Chutes The Narrow. « Et je me dis et je redis » que les Shins, ces putains de ricains, sonnent anglais et si l’on fait rapidement abstraction de leurs chemises à carreaux et de leur look de teenagers new-yorko-californien du sud, on se plaît à percevoir dans une note ou dans un chœur l’ombre obsédante et éternelle des Zombies, des Kinks ou des Kaleidoscope, pas la version US. Même fascination pour ces mélodies distillées avec grâce et qui peuvent partir dans tous les sens, du terme psychédélique, les combos américains ayant à mon sens une couleur plus bluesy ou une tournure beaucoup plus bad trip comme les Maze ou le Country Joe & The Fish de 67. Et là, le débat éclate, bombe à retardement dans les esprits confinés ou cons in fine, car comment peut-on qualifier autrement l’idée reçue qui consiste à définir la pop en fonction du corpus Rock, je m’explique : la pop aujourd’hui est considérée comme le versant aseptisé du rock, une musique mélodique commerciale, genre soft-rock-FM de trou de balle et là je dis non. Je crois en fait que la pop est le lien ultime entre la musique classique au sens le plus large du terme, voire de la musique baroque pour être plus précis, et le rock. Beaucoup croit trouver dans ces œuvres finement ciselées une certaine forme de mièvrerie dispensable, tout le monde ignore par voie de conséquence la complexité qui caractérise cette musique dite populaire mais qui emprunte aux grands orfèvres comme Bach, Saint-Saëns, Purcell et autres ordonnateurs de la Beauté Chorale. À ce propos, Satie disait « La pop est une bite de fer dans un gant de velours à un doigt », car il faut pouvoir sortir et poser ses couilles sur les tables de la convention pour imaginer des œuvres comme celles de Gary Usher et de Curt Boettcher avec Sagittarius, de Van Dyke Parks, Song Cycle en a laissé plus d’un pantois au bord de la route de la folie pure arrangée comme il se doit, et je passe sur les délires protubérants mais au combien sublimes de Todd Rundgren et les vignettes sous influence Fab Fours de Smoke version US, éphémère combo produit par Michael Loyd que l’on retrouvera aux commandes de l’ultra mélodique West Coast Pop Art Experimental Band. Les gymnopédies de Satie sont des œuvres résolument pop pour l’époque, on est loin des grandes harnachements orchestraux qui tiraient les plus fines mélodies vers les cimes de la délectation musicale. Et j’en viens au point crucial : il n’y a pas de pop sans une production digne de ce nom, vous pouvez prendre des notes ?!, chaque arrangement devraient être goûté à sa juste valeur, ô France, patrie de la gastronomie, drapeau maculé d’un rouge bourguignon, bouche enfournant des tablées entières de plats suaves, entrées, plats, formages, desserts, digestifs et cigare à zéro franc zéro cinq, le tout arrosé de grands crus divins de vins ; et nos putains d’esgourdes franchouillardes ne seraient pas capables de percevoir toutes ces mille et une nuances ? L’héritage anglais est à ce point exemplaire faisant des Shins les paisibles rejetons des trublions Beatles et du grand mage George Martin, tant leur savoir-faire irradie de cette délicatesse naturelle des chœurs savamment posés sur des partitions ornementées de la plus belle manière ;  Oui les Shins sont tout cela.

Cependant, je dois expliquer comment et pourquoi mon corps a sombré, pendant l’écriture de cet article, dans une faille temporelle. Quelques lignes plus haut, j’évoquais ma déception devant cette B-side un peu bâclée, rêvant en secret à un troisième album parfait tenant en 5 exquises chansons, mais l’espace-temps aidant, perdu dans une sorte de trou noir de l’inspiration, je me suis mis à aimer l’opus dans sa totalité. Car il faut bien vous dire qu’entre le premier paragraphe et celui que je suis en train de frapper en mesure, il s’est passé quelques semaines, temps propice à une écoute plus approfondie. Pour ceux qui espéraient me voir narrer mon enlèvement par un commando d’extra-terrestres aussi drogués que libidineux, les créatures d’outre-espace cultivant toujours cette forme de nonchalance sexuelle de l’autochtone perdu sur une autre planète et éprouvant l’irrépressible désir d’en savoir plus sur l’espèce visitée, vous pouvez repasser ; ce n’est pas dans ces lignes que je raconterai cette incroyable aventure qui n’a rien d’un bad trip dans un rade désert de Tijuana, tenant lieu de planète interdite, aventure qui me fit repousser les frontières du surnaturel. Ok, je viens de retourner ma veste, certes doublée de soie, noire surpiquée et parfaitement coupée près du corps, cintrée comme disent certains esprits taillés de la même manière, oui je reconsidère mes propos pour affirmer à quel point Wincing The Night Away touche au sublime, marquant le passage musical de l’adolescence, et son insouciance décomplexée, à l’age adulte, faisant de l’Œuvre des Shins ce que j’ai rencontré de plus intelligent, de plus passionnant en ce début de millénaire pop, avec Sufjan Stevens peut-être. Ce nouveau siècle fut ainsi inauguré en fanfare brodée de motifs clavierisés, les délices venant planter leurs graines lysergiques dans le jardin dépeint il y a quelques siècles de cela, je songe alors au retour en grâce de la Pop, fini l’exil des rois du baroque orchestré ; et si les Moody Blues devenaient enfin in ? Cette deuxième face, dus-je le répéter, est donc à l’unisson de la première, classe, feutrée, contrastée, méthodiquement assemblée, …, BONNE QUOI ! Sea Legs et son faux mixage façon vieux vinyle, comme pour mieux nous le signifier, nous ramène au pays de gris et de rose des doux Caravan, rythmique guitare acoustique-basse-batterie au son rond, plein, relevé comme un jupon d’Alice au pays des merveilles psychédéliques à la poursuite des lapins rouges, quant au reste nous naviguons sur des vagues noires en belle compagnie, Girl Sailor, les perles musicales d’un majestueux panthéon pop s’enfilent et à la fin, une comète transperce le ciel, lumineuse apparition ouvrant la voie d’un avenir radieux pour la formation de Portland.

Après le set, je plongeais dans les boyaux carrelés du métro parisien, la foule s’étant mollement dispersée, mon cerveau semblait fonctionner de façon autonome bâtissant des hypothèses hasardeuses comme les Shins mettant en musique le prochain film de Gondry, télescopage probable de deux univers chamarrés, un peu fous, et au fur et à mesure que le train passait les stations, mon esprit faisait une rapide escale sur les étagères foutoirs de mes rêves indicibles y trouvant des trésors comme Les temps modernes passés au filtre psychédélico-technicolor et mixés en extended version avec aux commandes une hydre à deux tête nommée Jodorowsky-Clovis Trouille. Les roues ralentirent dans un crissement aigu d’étincelles dorées se mêlant au son imaginaire des pompes cuivrées des grandes orgues de l’enfer baroque.

 
 

 

 

 

 


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