Spécial Nouvelle Scène Française

par Adehoum Arbane  le 04.04.2007  dans la catégorie A new disque in town

Le match du siècle : Rock vs Variété
Ou un certain conformisme remis en question
« Y a pas de doute, on est bien en France », Les Valseuses 1974
Ou comment l’idée de Rock Français ne prêtera plus à sourire


Bordel, Paris serait-elle en train de secouer les fondations monarchiques de la Variété dite Française ? Je vis à Paris, j’habite cette ville incroyable et pas seulement au sens littéral du terme, je suis un néo-parisien, pas totalement le bobo qu’évoquait, il y a peu, un ex-faux-anti-rocker en cuir de désintox, pas vraiment Delerm, not very Biolay, non ; un chroniqueur fondu de rock, de pop, de folk, de blues, de soul, de psyché, enfin de tout ce que les mid-sixties ont enfanté de meilleur, de lascif, d’abrasif.

Il se passe un truc. Des groupes émergent, ils chantent dans la langue de Shakespeare, elle-même vaguement convertie au flow abruti et blême des Ginsberg et autre Corso. Ils Lou Reedisent leurs guitares, Brian Wilsonisent leurs voix. Parler de scène parisienne ne participe pas à un anti-provincialisme viscéral, les formations explosant de partout où les platines recrachent Velvet, Beatles, Stones, Who, Stooges, West Coast Pop Art Experimental Band… La liste est longue mes amis. Ce qui frappe, c’est la prise de conscience, celle-ci allant de paires avec une prise de risque, donc une forme d’inconscience héroïque, de décalage dérapage incontrôlé qui fera des étincelles, pire, qui allumera des brasiers rock un peu partout en France, l’état d’urgence diront certains. Alors, ils peuvent trembler les tenants d’un consumérisme variétal, les parangons du « Chantons en français, la France, Molière, Johnny, l’exception culturelle, l’art participatif » car tous crèveront bientôt sous les fracas des décibels régurgités.

Nous revenons de loin, sachez-le. Bien sûr, je ne parle même pas des yéyés en yoyos, des Cloclos clonés et botoxés à mort, encore moins des faux joueurs de blues qui semblent ignorer que seuls quelques blancs réussirent à égaler leurs modèles noirs, je parle de Beafheart, Fogerty, Dylan, ou même Chris Farlowe. Tous éructèrent le blues, la seule façon de chanter qui s’inscrive dans une certaine tradition afro-américaine, dont Howlin’ Wolf serait le modèle incontesté. Dans cet inventaire, je ne voudrais pas oublier les « estampillés rock », ces clowns grotesques qui finalement n’ont fait qu’électrifier la variété, les Wampas font partie de ces figures de cire, pâles imitations dans les musées du conformisme franchouillard. Sans même oser évoquer le rock musette ; à  l’heure où le sosie d’Édit Piaf plaque sa bobine fardée sur toutes les affiches, il serait bien dommageable que son fantôme braillard continue à hanter la scène musicale actuelle.

Aussi réjouissons-nous mes frères, car The Times They Are A-Changin comme chantait Robert Zimmerman. La révolution vient de partout disais-je, mais elle revêt tous les styles, revendique toutes les influences. Les kids découvrent sur l’Internet Zone les revivalistes et tel un effet secondaire genre énorme retour d’acide, les formations qui les ont inspirées. Les plus anciens, eux, ont sans doute dû hériter de la collection de vinyles de leur oncle, aujourd’hui avocat au barreau, naguère baba totalement barré. Seul point commun, ils ont su transcender les âges et les héritages. Tous forment des légions de jeunes Bealtes-hippies-freaks-space kids- pourfendeurs de conformisme musico-télévisuel, et ils ne seront jamais de trop pour que cette vague de kitsch à la vacuité pseudo poétique ne nous submerge à nouveau, n’en déplaise aux jurys intronisés, castant d’infâmes brailleurs blondinets, d’énormes divas black (en apparence) vomissant par tous les pores un gospel totalement dévoyé et tous  les faux génies acculturés peuplant cette planète bordélique.

Nationalisme musical ou we fuck french’s cultural exception ?

Enfilons nos queues de pie She’s A Rainbow et nos guêtres All You Need Is Love avant de passer les troupes en revue alors que des nuages pop capitonnent mon esprit sous casque et sous drogues (immatérielles, je te rassure daddy !), le ciel dehors est puissamment chargé, mais à l’intérieur c’est Venice Beach, l’ivresse cul vissé au Café Bizarre, le Paris de l’underground déviant. Les premiers qui me viennent à l’esprit, sans ordre de préférence, rassurez-vous, sont les héritiers tranquilles de Brian Wilson, des Kinks des Love et des Zombies… Tranquilles car de leurs guitares ouatées poussent des cathédrales champignons, ils sont fanas de wurlitzer, ne s’expriment que sous flûtes, pas de celles qui font claquer les bulles de champagne dans une résonance cristalline, non, mais plutôt celle de Joujouka, petits joujoux acidulés. Chez le collectif Dorian Pimpernel, on lit debout du Lewis Carroll en buvant les paroles de Syd Barrett, ils sont français de sang mais anglais de cœur, leurs comptines sont des strates protéiformes et je les adore. Quand ils scrutent la Côte Ouest, ils croisent le regard en forme « d’arc-en-ciel barbu » des Los Chicros qui ont trempé leur pilosité musicale dans la marmite rose des Beach Boys. À force d’écouter en boucle leurs singles parfaits, je me suis surpris à laisser pousser cheveux et barbe, à mettre des t-shirts trop longs et à flâner sur les campus d'une Californie imaginaire en suivant la figure de proue de mon skate. Les Da Brasilians eux ont le chœur tourné vers des harmonies très Crosby, Stills & Nash. Pop cotonneuse me direz-vous, musique inoffensive, consumérisme aseptisé… Que non. Ils ont la fougue, le style, comme The Agency qui reprend les hostilités là où les Beatles s’étaient arrêtés dans un jeu du destin qui fit trembler les chapelles, les fans, les filles et leurs mères de famille qui, affolées par la nouvelle, imaginaient déjà avec effroi Mick Jagger ou pire, Keith Richards, comme futur gendre. C’était en 1970 et le monde a bien failli ne pas s’en remettre. Notez, je ne m’en remets toujours pas alors qu’en cette année, je n’étais pas encore une lueur de désir dans les yeux de mon père. Alors, on parle de ces baby rockers baveux et puants et l’on oublie The Agency, putain de fatalisme journalistique, de corruption de l’âme, le rock est-il mort comme le chantait Morrison où en salle de réanimation, où sont nos Docteurs Jeckill et nos Misters Hyde ? Ils s’appellent entre autres eLdIA et ont décidé d’opérer le rock à vif en greffant la tête de Ray Davies sur le corps d’Hendrix, et croyez-moi mes kids, ça réveillerait un Alzheimer en phase terminale.

Et puis il y a les miniaturistes, on les imagine facilement accumuler pléthore de vieux vinyls obscurs, composant dans la poussière de leur réduit, entre les piles d’œuvres immortelles, des hymnes caracolants pleins de trompettes et de clavecin. Fugu pourrait en être le chef de file, l’homme-orchestre, tant ce gars discret rencontré une fois à la Flèche d’Or un soir d’errance journalistique, longue silhouette fantomatique, sorte d’Edgar Pop, synthétise à lui seul l’héritage énuméré quelque deux cents lignes plus haut (Lester, sors de ce corps !). Ces deux opus ne sont, ni plus ni moins, que les suites officielles de Sgt Pepper’s et d’Abbey Road, excusez du peu. Dans un registre plus feutré qui sent bon le bois, les feux de cheminée, les réveils vaporeux dans la tourbe du matin, on trouve Cocosuma et Tahiti Boy & The Palmtree Family, grands maîtres de l’engourdissement des sens qui sur des formats courts ajoutent à l’acoustique de leurs six cordes des claviers aussi pimpants que les lycéennes vanillées que l’on croise les vendredis après-midi alors que les after se devinent déjà sur la chair de poule de luxe de leurs jambes nues.

Strawberry Fields Forever ou Strawberry Alarm Clock, le psyché kitsch semble faire des émules, les Strawberry Smell en tête avec leur long trip en Odorama, à deux galaxies de Kubrick et quatre nébuleuses du Major Tom de David Bowie pour l’esthétique et en plein Univers Beatles pour la musique et les effluves de patchouli. Cette tradition de l’outrance acide et du comique cosmique nous ramène quelques années lumières plus loin, alors que les magnétiques Seeds vrillaient le soleil californien d’une flèche de Cupidon drogué, en plein summer of love. Cas particulier, exception culturelle diront certains : la pop nimbée de Holden, paroles molièrisées évoquant « Charly et moi » dans le bourdon des guitares alors que le farfisa tisse une matière musicale sinueuse, envoûtante, mystique et psyché. Holden, ce n’est pas William, mais plutôt une sorte de Français Truffaut sous influence sixties avec une production miraculeuse, le son est dans leur dernier album proprement incroyable de précision, travail d’orfèvre que l’on doit à Senior Coconut, laborantin fou et je crois, à moustache. Ou peut-être glabre en fait, cette dernière affirmation me paraissant légèrement emportée, pourquoi pas la traduction d’une forme de schizophrénie passagère et quelque peu inquiétante ; passons.

Jusqu’ici, les choses s’annoncent plutôt bien, l’article se pose, pour autant je suis à peine surpris, plus par lucidité que par excès de modestie, car cette scène à la fois homogène et diverse aligne les formations talentueuses. Prenez les Hushpuppies, ils sont de Perpignan, je sais cela peut sembler improbable avec un tel patronyme renvoyant aux meilleures années du Swinging London, prenez donc ce groupe garage, il vient de faire exploser son tout premier album à nos oreilles affamées, et les hits sont là, bien présents, s’enchaînant dans le brûlot des guitares acérées, très bon début pour ces fanatiques adoubés des Small Faces et de tout ce qui fit du bruit du côté des sixties. You Gonna Say Yeah ! porte très bien son nom, le rock étant depuis plus de 40 ans une succession sans fin de babe, baby, oh yeah, yes, ouh, argh, girl, man, langage des blousons noirs, des voyous, des bikers et de toute la mauvaise graine gobant les pilules opalescentes et les buvards roses bavards de la révélation intérieure. Quant aux Sweet Apple Pie, ils entartent leur pop de couches multiples, mille-feuille so british et dès lors, à mesure que Fake Street se la joue hymne façon Street Fighting Man, on pense aussitôt à Pussy et son unique opus pondu en 1969, Pussy Plays, comme c’est original, aux orgues lâchées et aux chœurs miaulés.

Finalement le rock ne serait-il qu’un énorme cliché lunettes noires, cuir ad hoc et boots à tailler des croupières au ciel d’une époque peu réceptive à la révolte électrique, quoique, les choses commencent à se débloquer, même si les bouffons du Roi Variété continuent de prospérer ne cédant nullement aux chants des sirènes de la grève rédemptrice. Les rockeeuuuuurssssseeesss au blouson de cuir comme chantait Melmoth ne défilent guère dans les bistrots de banlieues, entre le jambon beurre et le ballon de Bordeaux Supérieur, non ils errent dans la nuit parisienne comme des vampires chromatiques, mais tendance black & white ; tenue incorrecte exigée. Plus que quiconque, ils ont adopté la langue de Shakespeare Elvis par nécessité car tout autre forme d’expression linguistique ne pourrait que nuire à la crédibilité du rockeur en devenir, se souvient-on aujourd’hui de Bite Rivières… Non, les vrais rockers ne jouent pas du baby-foot mais des guitares en forme de crans d’arrêt qu’ils sortent tels des samouraïs cloutés dans un éclair zébré d’acier trempé déchirant un ciel de périphérique sous les autoroutes entrelacées. Quand ils ne se battent pas sur les terrains vagues, ils se tournent vers une autre Babel trans-européenne, New York, plantant leurs crocs dans cette grosse pomme juteuse et vénéneuse. De par son nom, Ultra Orange s’en rapproche le plus qui avec la sublime Emmanuelle, actrice française en rupture d’underground et accessoirement mariée à Polanski, ont décidé de lorgner du côté du Velvet pour composer des chansons amères ou acides, rappelez-vous l’orange, des rocks gainés ou dégainés, c’est selon ; enfin, cet album ose l’électricité, ronronne de fuzz et finit par s’insinuer dans les cerveaux en partance. Les anciens comme les plus jeunes, tous ont retenu la leçon du Velvet ou des Stooges, sex, drugs & rock’n’roll et sans avoir à pratiquer ( ?) le deuxième chapitre de la sainte et rebelle trinité, leurs morceaux sonnent déviants, classes et à la fois sales, l’apanage du vrai bon groupe de rock. On pense en vrac à AS Dragon (les aînés), Neïmo (avec une option définitivement new wave) ou aux Tatianas, voilà un nom racoleur à souhait aussi vif qu’une virée dans le bois de Boulogne et qui promet de ne plus quitter les esprits, d’arpenter les cerveaux comme des roulures maquillées avec des mouvements incessants de faux sacs Goût de Chiotte.

Bon, jusque là, je respecte le deal, j’écoute tout un chacun avec professionnalisme, attendant la fin d’un single ou d’un album pour lâcher ma plume aux aguets même si celle-ci n’existe que virtuellement, un ordinateur portable faisant office de machine fictionnelle à écrire dans les règles de l’art. Avant d’embrayer sur la suite, je songe aux derniers événements, le mythe de la mort du rock et son grand retour et surtout, et surtout, la prédominance du rap comme musique urbaine et rebelle, enfin merde, il suffirait de porter un futale rabaissé jusqu’aux chevilles façon « Je me suis chié dessus, mais à part ça je suis au top » pour incarner la coolitude absolue ? Le rock est mort en France bien avant de naître, voilà l’amer constat que j’ai tiré depuis quelques années à la seule écoute d’une production nationale affligeante de corruption et prompte à enchaîner les misérables compromis pour quelques heures d’antennes, sur les ondes dites libres ou sur les plateaux télé de la convenance acharnée. Comme si nous ne pouvions accoucher légitimement d’un rock digne de ce nom. Je suis conscient que l’Anglais a toujours eu ce mérite de rendre le rock cool, évident, sans tomber dans la posture vaine ou feinte, là où le Français le décrédibilise purement et simplement encore qu’un Gainsbourg, en son temps, fit beaucoup tout comme Dashiell Hedayat pour réconcilier poésie romantique du XIXe siècle et déferlement de notes canailles, marque déposée du Rock Sixties façon Stones ou Pretty Things. Ce Yalta de la Muzak a déjà eu un précédent au cinéma, ce que l’on appela bien rapidement le Western Spaghetti ou Western Italien et qui, dès 1964 avec la première Sainte trinité « Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le bon, la brute et le truand » renvoya le genre américain dans ses ultimes retranchements. Je revois sur l’écran granuleux de ma mémoire ces gueules, des vraies, les gringos et les Mexicains, cette violence complètement théâtrale, la musique de Morricone, les sifflements, le caractère politico-social, les peones opprimés, tous ces codes qui apportèrent au genre une nouvelle grille de lecture. Des réalisateurs comme Leone bien sûr mais aussi Sergio Sollima, Giulio Petroni, sublime Death rides a horse, ou Sergio Corbucci furent les maîtres étalons (je sais, je sais, je sais…) du cinéma bis élevé au rang de 8e art, putain ces plans impossibles accumulant les visages huileux, yeux énormes dessinant des frontières infinies dans les salles du monde entier, car le Western Italien connut un succès international, bénéficiant du système fort rentable des coproductions. Ainsi, l’Amérique devait perdre pendant 10 ans ce juteux monopole, bye bye John Wayne putain de cow-boy aux dents blanches et à la morale aussi lisse qu’une communauté mormon un dimanche matin de culte. Au passage, un grand merci à monsieur Quentin Tarantino qui a largement réhabilité ces œuvres dans ses propres films, mais nous sommes bien d’accord, Tarantino EST un cinéaste totalement rock’n’roll.

Pour en revenir à notre sujet du jour, le rock en France balbutie ses premiers accords et au cœur de ces performances, de l’hystérie collective façon punk aux productions plus léchées estampillées pop, on trouve des petits joyaux malades en forme de fleurs rimbaldiennes, avec « ces haillons d’argent » si chers au bambin imbibé. Calc tisse patiemment des canevas de guitares et de claviers, il y a des nébuleuses dans leurs chansons, le calme avant la tempête, et la voix de Julien Pras qui se détache, comme aspirée par cette lumière blanche que certains crurent voir au moment où la mort les touchait. Vignettes mélancoliques puis nerveuses, lorsque le cœur a besoin d’être passé aux défribilateurs, « putain, on est en train de le perdre » beugle alors le toubib dans un éclair de conscience livide. Toujours dans un registre en demi-teinte, Twice chantonne ses berceuses vénéneuses encadrées de morceaux tendus comme des queues le matin au réveil, évocation certes sexuelle mais le rock n’est-il pas chargé de fantasmes classieux et autres imageries Éros et Thanatos ; l’ambivalence érigée en valeur fondatrice, remember Lou Reed, Bowie, Marc Bolan (l’abréviation de Bob Dylan), les New York Dolls, Todd Rundgren ou encore plus pointu, Mott The Hoople, aussi jouissif qu’un week-end de scoutisme dans les tourbillonnantes forêts de Champagne, j’y étais ; à ce propos, la seule écoute de leur greatest hits me rappelle cette longue descente de trip, sorte de naufrage intérieur du Titanic dans les flots opaques et glacées de l’océan.

La mélancolie est souvent l’apanage des folkmen, héros sombres, oubliés, habités,  figures damnées comme leur père spirituel à tous, l’angélique Nick Drake. Leur mode d’expression est le one folkman show, leur instrument de prédilection la guitare acoustique, mais quelques-uns de ces singer-songwriters, baladins cosmiques, revendiquent haut et fort l’héritage d’un autre homme presque seul, les jambes rivées à son fauteuil, la barbe prophétique comme un ciel, la voix douce comme un nuage, je veux parler de mon idole, le génial et paisible Robert Wyatt. Tous portent aux nues les bas-fonds aqueux et pourtant lumineux de Rock Bottom, disque-phare au chevet de nos esprits pondu en 1974, quelque part entre le quatrième étage de l’immeuble du destin, adieu la batterie et les cymbales folles, et la terre ferme d’un parcours brisé sec. Syd Matters et Sébastien Schuller sont ses deux fils préférés et parmi les plus talentueux à oser sortir des albums d’électro-folk barrés, ailleurs et cet ailleurs est à nul autre pareil, ses confins ne sont pas encore balisés. Au départ comme Wyatt lui-même, ils ont imaginés leur premier album sous la mansarde de leur cerveau, confinés dans une pièce, mais déjà partis dans l’espace au moyen de machines savantes dépassant les voix lactées répertoriées depuis Ératosthène l’aveugle. Dans leur sillage, on trouve des poètes un peu lunaires comme Mathieu Persan, voix chevrotante et corde éraillée s’offrent pour façonner son univers particulier des sonorités presque blues, avec des tambourins, des orgues de fêtes foraines, il nous invite à la représentation d’un petit théâtre de l’horreur boréale (Does It Make You Feel Sad ?), blanc, proche des Nursery Rhymes anglaises ; superbe et incantatoire You vs You. Enfin, timide et discret, Peter Von Poehl a pourtant fait une entrée remarquée avec Going Where The Tea Trees Are, poussant la porte de l’école de Canterbury avec une majesté désarmante, alors oui ô oui ce jeune compositeur suédois vivant à Paris mérite de figurer au panthéon des futures gloires de l’indie rock français. L’album magnifiquement produit est un vibrant chef d’œuvre et croyez-moi, en fidèle disciple de Lester, je ne disperse pas mes étoiles journalistiques aux quatre vents ; d’autres furent laissés pour morts sur les chemins de l’âpre sélection rédactionnelle.

À force de scruter le ciel, il arrive que l’on croise des étoiles filantes ou plutôt des planètes atomisées enfin je dirais pour en revenir à une explication désormais inscrite dans le réalisme social, des électrons libres. Cette engeance élevée en laboratoire a généré des albums atypiques en forme de gifle contestataire, minutes étendues dilatées dans la chaleur de l’extase de jouer sans en voir la fin, je pense alors à Cyann & Ben et leur incroyable deuxième opus, Happy Like An Autumn Tree, écho effarant effrayant du Rock Bottom de Wyatt, puisant d’autres influences du côté de Magma et du Pink Floyd d’Atom Heart Mother et de Dark Side Of The Moon, mêlant folk atonal et mélopées denses, planantes aux orgues magnétiques. On n’avait jamais entendu ça sauf peut-être rive gauche dans les années 70 avec Red Noise et le sombre collectif Kobaïen mené par son génial démiurge Christian Vander. Dans le genre jusqu’au-boutiste, Turzi nous la met sévère avec son premier EP Made Under Authority conçu sous haute influence autoritaire allemande, krautrock échappé des prisons et au passage des seventies déboulonnant les schémas classiques avec ses rythmiques galopantes et ses orgues lapidaires en sueurs galactiques on pourrait croire de prime abord à de la techno version hardcore, genre la musique de chambre que l’on passe dans les boudoirs suintants du Rectum, boîte de nuit imaginée par le cinéaste radical Gaspar Noé, mais très vite on envisage de nouvelles possibilités qui nous ramènent à des groupes comme Can ou Tangerine Dream. Boucles répétitives, transe chamanique incantatoire électrique droguée nimbée hypnotique et planante, putain, on se perd dans un nulle part trou noir désespoir de tout retour possible, la deuxième partie de Soloromano rappelant le mixage inversé de Out Bloody Rageous sur Third, cultissime album de Soft Machine. On redescend du trip et à ce moment précis, nous avons besoin d’une drogue plus acidulée, plus solaire, attendez je remets mes Ray-Ban Aviator. Disons-le, De La Jolie Musique sonne comme les Mothers of Invention du regretté Franck Zappa, génie à moustaches iconoclastes ou génie iconoclaste à moustaches, c’est selon, leur pop déjantée et ludique se paye le luxe d’une production scintillante, parfois même, planante, ritournelles early Pink Floyd avec des guitares acides qui font wizz dans votre tête hébétée comme ces matins de réveils pénibles alors que le corps ne s’est pas encore remis des bacchanales de la veille.  

Dernière catégorie quelque peu hybride, moins mentale, mais qui s’affirme pleinement et consciencieusement : les paysagistes du rock. Ils sculptent des horizons encore indéfinis, entre rock et jazz, tournent dans leur tête des milliers de films en imaginant chaque morceau comme une BO possible. Carp, Lanscape, Mangrove ou Overhead, leurs univers mouvants se parent volontiers du noir & blanc et parfois, une voix brumeuse, énigmatique, plane au-dessus des notes comme un oiseau de bon augure. Ces musiciens conceptualisent le rock, mais gardent aussi à l’esprit, et attention celui-ci est vif, cette forme d’improvisation propre au jazz, c’est le cas de Carp et de Landscape. Ces deux groupes jumeaux cartographient un nouvel espace musical, bien loin des frontières confinées du traditionnel rock français.
 
Enfin, que serait le Rock sans dandysme ? Les dandies (prononcez dandiiiiizzzzzz) sont aux guitares et plus généralement à la pop ce que les portefeuilles ministériels furent aux ministres en hauts-de-forme : un accessoire indispensable, un mode d’emploi de l’esprit aussi irrévérencieux que facétieux, une manière d’être ou de ne pas être d’ailleurs, le dédain ouvragé, la nonchalance travaillée, révisée puis imposée ; ils ne sont pas légions, mais on les voit partout. Durant les sixties, nous avions le triumvirat ultime et cintré, les Dutronc-Gainsbourg-Melmoth, ils aimaient les femmes, les alexandrins et les cigares, les vins fins et les vents feints. Aujourd’hui, ces originaux laissent une descendance certaine, braillant avec panache et en français (peu écorchée pour une fois), des hymnes vaguement cyniques. Le benjamin se prénomme en deux temps trois mouvements Charles-Baptiste et ses variations convoquent les fantômes du jeune Werther et du romantisme élégant ; musicalement on navigue en o troubles avec une fascination pour les formules épurées du rock s’ouvrant sur des intuitions purement pop, on imagine ce Vladimir Horowitz nouvellement parisien, fait pour jouer du fender rhodes, « organe » idéal pour accompagner sa voix en veste de velours. Les Maquilleuses est à son image, un modèle du genre. Pour ma part, je lui conseillerais aussi le wurlitzer, je ne sais pas, j’adore ce piano et ce son poivré comme un vin du sud. Du double prénom qui est en train de se faire un nom passons à un duo ombrageux, les agents doubles du mal de la came, Thomas Winter & (Thomas) Bogue et je retourne dans ma tête, comme un lit défait dans une chambre d’hôtel de passe ce morceau compulsif, L’amant D’un Jour, le clavier électronique imitation clavecin est semblable à un fixe d’héroïne, longue traînée pianotée sur fond de guitare acoustique ; un titre Melody Nelsonien en diable comme la beauté du même nom. Pop cuir et rock crève-cœur, comme dans French Lover ou Sur La Colline ; désespérance poisseuse, mélodie gueule de bois. Autre figure, Damien serait à lui seul une forme de rédemption, d’antidote à la déprime mais avec cette ironie mordante, matez son clip sur myspace, The Frogs « les français » et sa basse 1971 genre enregistrée à Londres pendant les sessions de Melody Nelson (toujours cette muse du rock, aussi inspiratrice que le fut le Velvet Underground & Nico en 1967, rappelez-vous les mots de Brian Eno, « Il n'y a peut être que 1000 personnes qui ont acheté le premier album du Velvet Underground, mais chacune d'entre elles a ensuite fondé un groupe ») avec chœur ad hoc et chant susurré ; quant aux paroles, elles frisent le débile donc le culte donc le génie donc le dandysme donc l’essentiel de l’existence en tant que philosophie mais avec une bonne dose de décalage (le dandysme on vous dit). Le reste de l’album est très je-m’en-foutiste, mais le dandysme tient aussi à ce petit détail qui donne aux œuvres d’art leur caractère éternel ; et je pèse mes mots. Pour finir, je citerai Katerine pour son humour savant et ses premiers albums totalement pop (ou top, je ne sais plus très bien), le bonhomme affichant lui aussi une bonne dose de dérision voire de folie, je le revoie sur scène, en province, à poils et peinturluré de la tête aux pieds, le mec chante comme un possédé, se démène, lance des phrases lapidaires et j’entends encore dans mon esprit résonner ces mots prononcés par une « spectatrice » locale, incroyables de non sens, d’ignorance ou de connerie, chacun fera sa petite tambouille : « j’aime bien les paroles mais ça veut dire quoi au juste ? » ; coi, tel est le mot pour qualifier l’état interdit dans lequel je me trouvais lorsque que tomba la dernière lettre du dernier mot « quoi ». Ah, la spontanéité provinciale, à n’en pas douter toute première incarnation du dandysme à la française. À noter que le portrait de Dorian Pimpernel est à lui seul une figure néo-classique du dandysme, jetez un œil en forme de monocle à leurs interviews composées en cadavres exquis, non sens total, surréalisme grandiloquent, prétention assumée et on aime ça ; le bonheur dans ce qu’il a de plus infini.

La morale de l’Histoire ? Cette dernière n’a pas donné raison à John Lennon lorsqu’il affirmait non sans humour : « Du rock français, pourquoi pas du vin anglais ! » ; putain ferme ta gueule John, de toute façon tu t’es fait flinguer donc tu n’as plus voix au chapitre, sans toi le rock franglais va perdurer. Je disais donc, la morale de l’Histoire ? Il n’est jamais trop tard pour bien faire, les groupes s’alignant désormais en ordre de bataille, en formations serrées avec une seule idée en tête, un seul mot d’ordre, un gimmick, une phase choc : la nouvelle Révolution Française sera rock ou ne sera pas.






 

Commentaires

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16.05.2007

alors...

Neimo
vu deux fois en concert
ils ont deux trois très bonnes chansons, mais le reste ça fait un peu remplissage, c\'est pas exceptionnel

eldia
vu deux fois en concert
c\'est ok, mais c\'est pas ultra original, je reconnais que c\'est bien fait, mais ça m\'emballe pas outre mesure

tatianas
vu en concert
pas un grand intérêt, du sous libertines en anglais, pas original du tout, et pas très bien joué non plus

tahiti boys and the palmtree family
vu en concert aussi
c\'est ok, mais ça m\'a transcendé non plus...

fugu
vu en concert
excellent, j\'ai bcp aimé

hushpuppies
vu en concert
excellent sur scene, mais sur disque c\'est pas d\'une originalité confondante, ça reste du garage rock assez classique mais bien fait

maintenant les groupes que tu execres:

second sex:
vu deux fois sur scene
ils ont l\'envi, et savent retourner, une salle, ils ont une vrai énergie, et certe leur songwriting est assez basique mais je les préfère à la plupart des groupes dont je parlais juste au dessus

les shades:
à mon avis le future meilleur groupe de rock en france
ils sont jeunes, et ont déjà d\'excellentes chansons, ils chantent en français et sont excellents sur scene (vu deux fois), ils mettent la misère sans problème à un groupe comme les tatianas
aussi bien au niveaux des compos que des prestations scéniques
et sans surprise bertrand burgalat les as signé chez tricatel (as dragon)

tu as oublié sinon les tjs excellents tahiti 80, qui rappelons le ont repris il fut un temps desiree de left banke...(et ils ont produit fugu)

dans le genre \"garage\" j\'ai été très agréablement surpris sur scène par sheraff

un peu dans le style electro-rock de neimo tu as les excellents sourya...

Gravatar

22.06.2007

Le débat est ouvert... Je reste sur ma faim concernant les baby rockers, je suis très emballé par les Sourya et The Agency, deux formations à suivre de près tant ils ont su tirer du néant créatif un répertoire original et superbement écrit... Et sur scène, quand ils jouent ensemble, cela rappelle les plus belles heures des Mothers of Invention de Zappa, c'était dans les 60's.
Voilà

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