The Lords Of Altamont, enfer moderne

par Adehoum Arbane  le 21.12.2006  dans la catégorie A new disque in town

De la graisse, du sang et des larmes. Du bitume, du cuir et les orgues de l’enfer. Voilà que déboulent les fameux Lords Of Altamont et en tout bien tout saigneurs, ils entraînent dans leur sillon motorisé toute une mythologie rock qui doit autant aux magnétiques Seeds qu’au non moins dangereux Steppenwolf.

Les deux pochettes se plaisent d’ailleurs à pasticher cette iconographie propre aux mid-sixties, ces typos énormes, impossibles, ces photos en négatif, mais mieux encore. On y retrouve ce qui fit le sel des affiches des meilleurs Russ Meyer, cinéaste à fortes poitrines.

Petit récapitulatif. L’équipe est plantée dans le désert, la chaleur accable nos épaules. Nous devons effectuer quelques prises, Russ est chaud, les idées fixées dans sa rétine dilatée comme les corsages de Tura Satana, Lori Williams et Haji dans Faster, Pussycat! Kill! Kill !

Nos 3 James Dean sous hormones nous rejouent la fureur de vivre dans un amas de pellicules, noir & blanc en guise de dress code. Le ciel vibre. Le soleil est à son zénith. La route est vide. Nos 3 déesses américaines, calfeutrées dans leurs bolides fuselés, se livrent au pillage, au meurtre… À l’aventure. Quand l’horizon se mit à tournoyer dans un vrombissement assourdissant. Les rayons solaires formaient dans le ciel bouillant des ellipses mouvantes. Et du point le plus reculé, au pied de l’horizon, l’on vit débouler dans un nuage de poussière un gang motorisé. Ils étaient vêtus de cuir, leurs longs regards étaient cerclés de verres flashants. Ces anges de l’enfer firent déraper leurs engins avant de couper les gaz. Le caméraman filmait tout depuis le début. Le leader, sorte de Marlon Brando mais en plus blond, en plus abîmé, descendit de sa monture. Son regard sembla défier un moment Tura Satana. Une chaîne à la main, un pied-de-biche dans l’autre, le ciel est strié de coups, l’air fouetté, des cris de guerre qui se perdent dans les échos d’un désert éteint. Pussycat et Jake se battent comme des beaux diables. Boots contre bottines.

Toutes ces nouvelles scènes étaient dans la boîte. La production se frottait les mains. Russ, excité par le tour que prenait son projet, pensait déjà à un nouveau titre : les vestales d’Altamont, gang band, Route 666… Son cerveau bouillonnait comme après une trop grande absorption de LSD. Les couleurs se diffusaient dans les globes mous et gélatineux de ses yeux, de la cornée jusqu’aux tréfonds du nerf optique. Russ visionnait les rushs sur place, se délectant de ces images folles quand l’impensable se produisit…

Roger Corman surgit de nulle part avec son équipe. Ils étaient en train de shooter les quelques plans qui devaient constituer la trame narrative de The Trip. Et puis tout se brouilla, les clichés, les panoramas, les références… Peter Fonda qui interprétait Paul dans The Trip prenait aussi les traits longilignes de Captain America dans Easy Rider. Et tout ce beau monde se donnait en spectacle sur la scène brûlée du désert californien. Pendant que les corps en cuir s’entremêlaient dans un pugilat lysergique, les Lords Of Altamont avaient dégainé guitares et orgue. Ils entamaient dans la raideur luisante de leurs parures des hymnes fondamentalement rageurs alors que les membres gesticulaient dans les éclairs du carnage.

Une lumière rouge s’abattit sur le décor comme un rideau et tout autour du périmètre où l’affrontement avait lieu, une scène s’assembla comme dans une version accélérée du film, kilomètres de grillages déroulés en un claquement de doigt, haut-parleurs géants poussant en une nano seconde, spots quadrillant l’espace du circuit automobile d’Altamont. Les lueurs spectrales furent balayées par les pales syncopées d’un hélicoptère, celui des Rolling Stones qui débarquèrent alors, goguenards et un peu paumés dans cette autre dimension où les coups de boule caracolaient en tête.

Retour rapide sur la scène. L’engin venait de se poser comme une feuille ou un insecte, non comme un insecte sur une feuille et le groupe en sortit en file indienne (allaient-ils filer à l’Anglaise comme ce 6 décembre 1969), puis ce fut le tour du staff technique, des groupies, du Grateful Dead, du Jefferson Airplane puis du ventre de l’appareil surgirent un peloton d’Harley Davidson, mené par Sonny Barger. Puis la foule des hippies, des ours, un charmeur de serpent, les Animals, toute la clique du garage punk psychédélique, Standells, Seeds, Sonics, Electric Prunes, Music Machine furent régurgités par le cockpit. Puis le concert atteignit une sorte de paroxysme cataclysmique et prit fin, puis le trou du désert finit par avaler tous les acteurs du drame et les Stones repartirent tels des anglais clinquants dans leur papillon de fer, laissant derrière eux les rêves effondrés de toute une nation.

La nuit était tombée et il ne restait nulle trace des événements de la journée, tout juste quelques marques de motos que les vents tièdes disséminèrent dans l’immense ciel-trou noir béant-interrupteur poussé-crépuscule des dieux informe. 

The Lords Of Altamont, Lords Have No Mercy (Fargo Records)
 
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http://www.deezer.com/fr/album/69779

 

 

 

 


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